Après un trop long silence discographique, sans mort, ni gloire (quoique!) ni fin du monde, Kruger nous gratifie d’une nouvelle courte galette au titre obscur : 333

Seulement deux tounes, « un peu court jeune homme », a t-on envie de dire. Mais ces messieurs revendiquent depuis longtemps leur grand âge – getting too old for that shit –  et avaient prévenu que la sénilité étant proche, ils ne seraient plus capables que de faire des demi-albums.

On les pardonne, l’ensemble est consistant. Ça parle d’ailleurs majoritairement de bouffe. De moteurs, également. On retrouve les thématiques incontournables de Kruger : conduire vite une grosse auto en ligne droite en mangeant un burger. Pour ceux qui en douteraient, les textes font pour une fois partie du packaging, au demeurant sobre et classieux.

La composition, pour paraphraser audacieusement Reno, ne laisse pas les mouches tranquilles. Il y a encore de la fougue chez les vieux croulants et du sang neuf avec l’arrivée de Raul à la guitare. Ça court, ça vole, ça assomme, c’est tout le rock’n roll qu’on attend de Kruger.

The Wild Brunch est un tube, autant qu’une pièce de ce poids-là puisse l’être. L’introduction est de celles qui font se jeter à terre et abîmer ses pantalons, on a très envie de tourner le volume vers la droite. Les passages mélodiques ont autant de flegme que de nerfs et évoquent très franchement l’attitude nihiliste et pince-sans-rire des larrons sur scène. Du plaisir coupable!

Herbivores démarre presque comme une plaisanterie avec des choeurs Mercury-esque avant de basculer sans prévenir dans un black-sludge-quelque chose pas bien éloigné d’Abraham, le groupe de Jak, six-cordiste baryton réformiste de la formation. On s’imagine aisément perpétuer un carnage dans le Mile-End au milieu d’un lâché de bisons.

L’enregistrement est comme souvent fait maison. La console et les oreilles de Magnus Lindberg, qui s’est également occupé du dernier Abraham, on fait le reste. Inutile de préciser que c’est très audible, peut-être plus aéré que For Death, Glory and the End of the world. Un grand plaisir, surtout sur un vrai disque.

Une remarque tout de même : les albums de Kruger nous ont habitués à plus de cohérence. Plusieurs guitaristes y sont passés et ça s’entend. Les deux pièces du disque sont à écouter distinctement, en fonction de l’humeur : « Je chanterai bien dans mon balai debout sur ma table basse » ou « Je vais me farcir un grano pour mon déjeuner ». Elles pourraient presque être tirées de deux albums différents.

333 est un EP de « transition partagée » fort jouissif, un échantillonnage de saucissons pour l’apéro qui précède une raclette. Pour le coup, c’est très helvète. Ce bien bel objet est disponible en vinyle 10 » numéroté (333 exemplaires, of course) ou en digital. Merci à eux, ils ont pensé aux audiophiles (en Suisse, ça se dit « nerd ») et le téléchargement est disponible dans de nombreuses qualités sur Bandcamp. Hors de question de se priver, mais on attend tout de même le fromage avec impatience, surtout s’il goûte le Wild Brunch.

Marien Joly