Groupe: Anciients

Album: Heart Of Oak

Label: Season of Mist

Sortie: 2013

Il y a quelques mois, je vous avais fait la promesse de vous entretenir d’une formation insolite alliant la sonorité de Mastodon à l’esprit quasi-ésotérique (non, très ésotérique) de Tool. Dans cet article antérieur portant sur le groupe espagnol The Ox, je vous disais qu’il n’existait pas beaucoup de formations possédant une pareille atmosphère. Or, la liste de mes découvertes dans le genre commence à s’étendre et à révéler quelques petites pépites. Au cours de cette prospection entêtée et déterminée, je suis tombé sur quelques phénomènes de metal métaphysique (c’est moi qui baptise, ne cherchez pas sur Wikipedia, vous ne trouverez rien). De ceux-là, j’ai déniché Sumer (voir le lien vers l’article antérieur), l’excellente formation américano-suédoise Soen (merci Lucas Biela pour la découverte), Socionic (qui par ailleurs a lancé le très intéressant Dividing Horizon récemment), Moving Atlas (voir l’album Et al. en particulier), The Ox, puis finalement le groupe canadien Anciients (mon favori du moment).

Lorsque j’œuvrais dans le milieu culturel en qualité d’historien de l’art, il suffisait que de cinq ou six artistes aient un même traitement pictural ou une démarche artistique commune pour que l’on se mette à parler «d’école» (ex: école de Barbizon, le groupe des Sept, le groupe de la Sécession berlinoise, etc.). Je me demande pourquoi il n’en serait pas de même avec la musique. Car à mon avis, il y a dans la musique de toutes les formations citées plus haut, une tangente très bien définie, des leitmotivs sonores et des thématiques partagées à savoir l’univers et l’infini, le pouvoir de l’esprit humain, les forces invisibles, la matière et le vide, la réflexion de l’homme vis-à-vis le monde matériel et sensible. Je crois qu’il faut à présent parler d’école, voire d’un genre défini et quantifiable.

Avec Anciients, on a l’impression d’être en face d’une sorte de bête «frankensteinienne» à laquelle a été greffé le torse d’une entité progressive, les têtes d’un cerbère à la fois stoner, sludge et metal psychédélique. On pourrait en dire autant de Mastodon, ce monstre de l’inclassable metal progressif américain dont les adeptes se font de plus en plus nombreux (l’apparition des membres du groupe d’Atlanta dans l’épisode 8 de Game Of Thrones saison V en tant que sauvageons/marcheurs blancs, n’a probablement pas nui à la cause!).

Enfin… Anciients, possède un son et un esprit proches parents des excellents Crack The Skye (2009) et The Hunter (2011) lancés par la horde de Troy Sanders et Brent Hinds. On n’a qu’à écouter simultanément la pièce canadienne «Giants» et son pendant américain «Dry Bone Valley» ou comparer les chansons «Overthrone» et «Quintessence» pour s’en convaincre. D’un côté comme de l’autre, les jeux de batterie de Mike Hannay et de Brann Daylor sont tous deux léthargiques, parfois endiablés et criblés d’exquises et interminables descentes de toms, la guitare est voilée de chorus et de reverb pas toujours propres (un son typique des amplificateurs de marque «Orange») et les voix de Kenny Cook et Troy Sanders sont presque superposables sur une bande-son, tant les oscillations présentes sur les graphiques lors d’un enregistrement doivent être similaires.

La plus-value de la formation originaire de Vancouver, dans l’Ouest canadien, réside probablement dans l’équilibre de ses compositions, l’atmosphère envoûtante et presque mystique de ses riffs. On a presque l’impression d’être dans un tipi, accompagné d’un grand chaman qui nous tend un calumet bourré d’herbes aux propriétés psychotropes ou un bol d’Ayahuasca. Anciients, c’est un gros trip dans le non-vu, l’hypersensible, les mondes enfouis dans notre plus intime intériorité, le voyage dans les mondes improbables et dalí-esques de cette réalité qui nous échappe et nous file entre les doigts. Et puis, on peut souligner au passage l’efficace syncrétisme du groupe, alliant avec brio et sans compromis des mélodies parfois aussi éloignées que celles perceptibles dans le metal progressif d’Opeth, celles du stoner de formations aussi diverses que Baroness, High On Fire, Kylesa, Shroud Eater et Hark.

Et puis, en terminant, si vous croyez que les mecs d’Anciients sont des gugusses, des péquenauds ou je ne sais quelle bande de visages sans nom (puisque vous n’avez jamais entendu parler d’eux), eh bien détrompez-vous. Les membres de la formation canadienne ont une feuille de route pourtant bien remplie: participation à la tournée nord-américaine de TesseracT et Scale The Summit à l’automne 2013, concerts intensifs durant le Roadburn Festival aux printemps 2013 et 2014 aux côtés d’Opeth, The Shrine et d’ASG (une formation qui deviendra plus tard les fameux Wildlights), une tournée pan-canadienne à l’été 2014 après avoir accompagné nul autre que Sepultura, Kataklysm, Decapitated et Lamb Of God lors de leurs tournées respectives.

Mon karma musical est celui du fan qui tombe systématiquement sur les formations éphémères: eh merde! Je croyais qu’Anciients n’était plus actif. Pendant des mois, j’ai arpenté internet à la recherche d’infos. Pendant un moment: rien. Aucun concert prévu pour 2015, aucun album annoncé. Puis, miracle! La formation vient tout juste d’annoncer que le mixage final du second album sera terminé cette semaine et qu’une partie de ce nouvel opus sera joué le 27 février prochain au Rickshaw Theater, à Vancouver en compagnie du groupe stoner Black Wizard. Ouf, je suis soulagé et bien heureux!

Dany Larrivée

Chronique parue simultanément chez Clair & Obscur (France) et Daily-Rock (Québec).

 

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