Le grand Mononc’ Serge lance son quinzième album studio en carrière intitulé « L’an 8000 ». Le Daily Rock s’est entretenu avec l’artiste aux multiples personnalités qui fraye avec la scène alternative depuis le milieu des années 90.

 

Dans la pièce « Fier de mon cash », tu mets en scène deux personnages opposés sur lesquels tu ne portes aucun jugement, et que d’une certaine manière tu présentes comme égaux par leur vieillissement. De quelle côté penches-tu le plus? Lequel crois-tu est le plus heureux?

En fait, le point de départ de la chanson est que j’ai beaucoup de gens dans mon entourage qui sont dans cette situation; c’est-à-dire l’artiste qui arrive à 35, 40, 50 ans et un moment donné, il est juste tanné de manger du Kraft Dinner. J’ai beaucoup d’amis qui sont retournés aux études par exemple. Mais ce que j’ai eu envie de représenter plus précisément c’est cette idée de revanche un peu, c’est presque mesquin d’une certaine manière. Mon narrateur faisait rire de lui lorsqu’il était plus jeune, la gang de hippie du cégep se payait sa tête parce qu’il suivait la voie et qu’il n’était pas cool. Mais, maintenant mon narrateur veut prendre sa revanche sur les gens qui se moquaient de lui. Mon objectif n’était effectivement pas de porter de jugement, seulement de dépeindre une situation que certains de mes proches vivent ou ont vécue. Mais, je pense que je ne sais pas lequel des deux est le plus heureux, ça serait un peu prétentieux de dire que je connais la réponse à cette question. En réalité, je ne sais pas vraiment ce que c’est que d’être heureux ou d’être accompli.

 

Malgré l’aspect humoristique de « Vendeur de bière », au fond je me demande si ce n’est pas un constat un peu tragique du milieu culturel. Et clairement, c’est toi que tu dépeins dans la chanson. En tant qu’artiste, comment négocies-tu avec un tel constat? Tu tentes de t’en départir ou tu l’acceptes à bras ouverts?

Je ne l’accepte pas à bras ouverts. Je la constate. En fait, au sujet de l’expression « vendeur de bière », un soir après mon lancement de Révolution Conservatrice à Trois-Rivières en 2017, Pépé était venu au show et nous sommes allés au restaurant. Steve Hill que je connais un peu moins personnellement était là aussi par hasard. Et Steve Hill durant la conversation nous a dit « On ne le se cachera pas, on est trois vendeurs de bière!». J’ai trouvé ça vraiment rigolo comme formulation, et même si j’en avais déjà conscience cette formule m’est restée en tête. Mais, tu sais, je suis un peu partagé par rapport à ça. Moi-même je joue sur cette fibre là parce que je sais que ça fait rire les gens mais parfois je suis vraiment tanné de la mauvaise qualité d’écoute justement parce que les gens sont sur la brosse. Quand je suis avec mon groupe, on fait du bruit, ce n’est pas très grave, mais lorsque je suis seul avec ma guitare ça ne prend pas grand-chose pour ruiner l’ambiance. Les gens saouls n’ont pas nécessairement envie d’écouter un spectacle attentivement et c’est dérangeant pour moi et pour tout le monde autour. En octobre, j’ai fait quelques spectacles et je me disais « câlisse que j’en ai marre! ». Un peu avant octobre, je me rappelle ce concert à La Petite Église de Saint-Eustache où les gens étaient assis, masqués et n’avaient pas bu. Tous les ingrédients étaient réunis pour avoir une estie de soirée plate, mais finalement c’était super cool. J’ai l’impression que oui parfois les partys, la bière, ça peut être le fun mais quand je fais des shows de chansons, j’ai de la difficulté à ramener mon public à un comportement plus calme et à être attentif. Les gens croient que dans un show de Mononc’ Serge, on boit, on cri mais lorsque ce n’est pas le moment, on dirait que les gens s’ennuient. C’est un peu énervant. Mais évidemment, j’apprécie le fait qu’on m’engage et que le public se déplace pour me voir. Il y a un équilibre à trouver qui n’est pas toujours là, mes spectacles deviennent un peu trop souvent comme un zoo.

 

Avec quinze albums en poche, ça doit maintenant avoisiner les 175 chansons. On reconnaît tous dès les premières notes tes grands classiques; Marijuana, Maman Dion, Woodstock en Beauce, mais il y a sûrement une chanson dans l’ensemble de ton répertoire dont tu es très fier mais qui est passée inaperçue et qui est aussitôt disparue. À quelle chanson aurais-tu voulu pouvoir offrir une plus longue vie?

Il y a une chanson que je fais assez rarement en concert mais dont je suis très fier, ça s’appelle « Humour chien » sur l’album « Pourquoi Mononc’ Serge joues-tu du Rock n’ Roll ». C’est une chanson que j’aime beaucoup qui parle de la méchanceté en humour. Peut-être que l’enregistrement ne rend pas justice à ce que la chanson aurait pu être mais c’est un texte que j’aime beaucoup.

 

Avec l’expérience et les années qui défilent, est-ce que l’inspiration vient plus facilement qu’avant ou au contraire on en arrive à un point où on a constamment l’impression de se répéter?

Oui, c’est difficile avec les années! Même quand j’étais avec les Colocs durant cinq années, j’avais beaucoup de difficulté à écrire des chansons, si j’en écrivais 3 ou 4 par années c’était beaucoup. J’ai commencé à avoir une meilleure production lorsque j’ai écrit des chansons sous pression pour la radio. Je devais écrire une chanson par semaine ce que je trouvais complètement suicidaire. À l’époque, je n’avais rien d’autre alors j’ai eu envie de l’essayer en sachant que je finirais sûrement par me casser la gueule. Et finalement, je me suis rendu compte que je produisais de très bonnes chansons dans un contexte de pression. Présentement, je ne suis sous aucune pression, si je n’écris pas de chanson demain matin, personne ne va s’en plaindre. Lorsque tu as deux ou trois albums tu peux arriver plus facilement avec une nouvelle proposition ou un nouveau son mais rendu à quinze albums c’est un peu plus laborieux. Parfois, je n’ai pas l’impression de me répéter mais c’est le public qui me dit que ma nouvelle chanson leur fait penser à telle autre pièce. Et finalement, oui c’est vrai. Ils ont raison. Parfois, je reviens sur mes pas sans même m’en rendre compte. On ne se réinvente jamais complètement.

 

On ne peut échapper à la mort et tu l’illustres particulièrement bien dans la chanson « Fini l’niaisage ». Tu exprimes le besoin de vivre jusqu’au bout. On sent une vulnérabilité derrière cette nonchalance et ce cynisme. Comment t’es venu l’inspiration? Est-ce un sentiment qui t’habite parfois?

J’ai un ami qui m’a dit presque exactement ce qui est exprimé dans la chanson. C’est un ami qu’on soupçonnait de vivre avec une maladie, comme un cancer. Il était allé passer des tests et après coup il m’est revenu en disant : « Écoute, je m’en vais chercher mes résultats de test, et si je suis positif d’un cancer ou n’importe quoi d’autre, je m’en vais acheter des clopes et de la bière! » Cet ami-là avait arrêté de fumer et de boire, mais ça lui tentait toujours, et même s’il jurait qu’il ne recommencerait pas. Je m’inspire souvent des remarques que les gens me font pour écrire, un peu comme « Vendeurs de bière » comme j’ai mentionné plus tôt. En tout cas [pour « Fini l’niaisage »] je suis vraiment parti là-dessus et j’ai extrapolé. En même temps mes musiciens m’ont fait remarquer que dans quelques-unes des nouvelles chansons je parle de l’âge, du vieillissement. Il y avait même d’autres chansons prévues qui allaient dans le même sens et qui ont été écartées de l’album finalement. Je ne dirais pas que c’était des chansons écrites en voulant précisément exploiter cette veine-là. Mais, on ne peut pas se le cacher; comme dans « Fini l’niaisage », « La Shop » et comme tu disais plus tôt avec « Fier de mon cash » ces chansons décrivent des personnages vieillissants. Le sujet me vient en tête puisque j’ai cet âge-là et les gens qui m’entourent aussi. Ce sont des questions qu’on se pose lorsqu’on a 45 ou 50 ans.

 

Dans la pièce « Poète maudit », on constate à première vue un portrait critique de la culture de la censure et du politiquement correct. C’est un peu comme si au même moment tu tentais de dénoncer les dérives de ce courant mais aussi de t’y résigner d’une certaine manière. Est-ce que je me trompe?

Dans cette chanson, j’avais d’abord eu l’idée d’écrire des conseils à un poète. Un peu comme le poète allemand du début du 20e siècle qui a écrit « Lettres à un jeune poète », [Rainer Maria] Rilke pour ne pas le nommer. Lui-même étant jeune, recevait des lettres d’un ado lui demandant des conseils. Les réponses de Rilke sont devenues célèbres par la suite. Je me suis dit : « Ah peut-être que je pourrais faire ça, donner des conseils à quelqu’un qui voudrait devenir poète! » Par contre, c’est devenu plutôt un avertissement que des conseils. Lorsque j’étais jeune j’avais une espèce de fascination pour [Charles] Baudelaire, pas nécessairement pour ses écrits, mais plus pour le fait qu’il ait été poursuivi en justice pour l’immoralité de ses textes. Je trouvais vraiment que c’était cool d’être rendu à te faire poursuivre à cause de tes écrits. Donc cette idée-là qu’un poète puisse se faire rejeter par la société c’est une image qui me fascine. C’est un peu ce que je veux dire dans la chanson. Si tu veux aller dans cette voie, celle où tu t’affirmes jusqu’à te dresser contre les normes sociales, il faut que tu t’attendes à manger du Kraft Dinner et passer un mauvais quart d’heure.

Le nouvel album de Mononc’ Serge « L’an 8000 » ne sera disponible que sur la boutique en ligne, lors des spectacles ainsi que chez quelques disquaires indépendants un peu partout au Québec. Vous ne retrouverez pas l’album dans les grandes chaînes.

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Entrevue réalisée par David Atman et Pier-Luc Diamond