Disons qu’en syntonisant Musique Plus ou les radios commerciales, la réponse à la question est toute simple; oui, le rock est bel et bien mort et enterré. Il a été remplacé par des émissions de télé-réalité américaines particulièrement mal-traduites. Sur les ondes radiophoniques, c’est l’humour, la météo et les nouvelles du sport qui remplissent le temps d’antenne. Pour CHOM par exemple, le rock est resté à l’étape de ses premiers balbutiements; CCR, Led Zep et Black Sabbath, que du vieux rock sur repeat à longueur de journée pour contenter les nostalgiques de Woodstock et autres.
Déjà dans les années 60, les Doors chantaient Rock is dead. Dans les années 70, Patti Smith chantait la même chose. Dans les années 80, video killed the radio star. À l’époque du grunge, Nirvana disait un gros nevermind à l’industrie en les représentant sous la forme de violeurs (rape me). Dans les années 2000, Marilyn Manson entamait lui-aussi son Rock is dead. Et maintenant, en 2015? Le rock s’est transformé. Certains diront qu’il a évolué en punk, en métal, en hardcore, ou même en musique électronique. Qu’est donc t’il arrivé au rock d’antan, le rock garage, celui que l’on pouvait entendre dans les sous-sols de banlieue et dans les locaux de pratique mal insonorisés? L’époque a bien changé depuis les années 60-70. Maintenant, les machines et les ordinateurs viennent souvent camoufler le manque de talent et d’imagination. Les programmes scolaires en sont aussi pour quelque chose, les musiciens sortant de l’école sont plutôt là pour montrer leur technique et non pas pour créer de l’art.
C’est l’image, le look qui a tué le rock. De nos jours, il ne s’agit plus de jouer de la musique de qualité pour réussir dans le milieu. Les groupes doivent avoir un plan d’affaire, un plan marketing, une image scénique qui leur est propre, un style. Ils doivent s’intégrer à la nouvelle façon de créer de la musique; iTunes, Facebook, etc. Aucune compagnie ne viendra cogner à leur porte pour leur offrir un contrat de disque. La nouvelle musique n’est tout simplement plus rentable pour personne. Il y a des milliers et des milliers de groupes, et que très peu d’endroit où ils peuvent se faire entendre. Le public s’y intéresse peu, les radios encore moins, et les compagnies de disque n’ont plus les moyens de développer de nouvelles scènes. Que reste-t-il aux groupes pour se démarquer et se faire connaître? Leur look. Leur travail acharné. Et les moyens du bord.
Ce qui a changé surtout ce sont les médiums par lesquels nous écoutons notre musique. Nous n’écoutons définitivement plus de la musique comme auparavant. On cherche l’idole. Quelques bonnes chansons ne suffisent plus, on veut écouter celui qui parait bien à la télé, s’exprime bien en entrevue, et nous fait paraître cool lorsque nous portons un t-shirt à son effigie. Tous ces groupes populaires aujourd’hui travaillent avec une équipe solide de stylistes, de relationnistes de presse et autres professionnels de l’image. Mais pour quoi faire? Ces professionnels n’ont rien à voir avec la musique créée par le groupe. Encore pires, ils pourraient même ne pas aimer la musique du groupe qu’ils représentent et pour lequel ils travaillent.
Toute cette nouvelle conception du produit culturel va de pair avec les nouvelles technologies. Le piton random divise en une dizaine de fragments l’œuvre complète que représente un album. Le download pour sa part ne donne plus accès à de l’information sur la musique (les paroles par exemple). Les YouTube et autres partagent des albums entiers, gratuitement, accessible en quelques clicks de souris. Cela permet oui, de partager la musique à tous, mais les sites de streaming permettent surtout de pouvoir skipper ce qu’on veut. Nous pouvons maintenant écouter un album en quelques minutes, voire même en quelques secondes, pour se faire une idée positive ou négative de l’artiste. Nous devrons bientôt comprendre qu’il est impossible en deux minutes de saisir une œuvre qui a été construire en plus d’une année. Les groupes se battent pour obtenir le deux minutes d’attention que nous avons à leur consacrer. S’ils veulent obtenir plus que deux minutes, ils devront eux aussi engager des relationnistes de presses. Ça ne fera pas d’eux un meilleur groupe, ça leur donnera tout simplement un peu plus de visibilité. Et qu’est-ce que ça prouve? Tout simplement qu’ils ont pu amasser le budget nécessaire pour se faire voir. Le constat me semble plutôt triste. Ce n’est pas la créativité d’un groupe qui nous les fait connaître, plutôt leur implication monétaire dans leur projet artistique. Oui, internet a démocratisé la musique en la rendant accessible pour tous, les pauvres comme les riches. Toutefois, le groupe en moyen se fera davantage voir que les groupes plus pauvres. Internet n’est en ce sens pas aussi démocratique que nous voudrions le faire croire. Dommage.
En attendant, les groupes undergrounds contemporains évoluent dans un milieu en manque de moyen avec une industrie qui tarde à s’adapter aux nouvelles réalités sociales. Ceux qui tireront leur épingle du jeu auront bûché fort pour y arriver. Les autres, malheureusement, se sépareront par manque de volonté. Serait-ce la preuve que le rock est mort? Pourtant, la musique est toujours très présente dans nos vies. Chaque ville possède son bastion de petits groupes, ses associations d’organisation d’événements, ses salles ou disquaires ou radios indépendantes. Mais ce n’est plus la même chose. La roue a tourné. Les groupes se forment et se séparent. Les disquaires font banqueroute. Les spectacles sont souvent organisés bénévolement par des passionnés à bout de souffle, et les groupes en tournée se déplacent pour jouer devant des salles vides.
Disons que si le rock n’est pas mort, il n’est pas très fort. Il n’en tient qu’à nous de nous assurer que son agonie se fera paisiblement….ou pour parler plus positivement, il n’en tient qu’à nous de s’assurer que nous pourrons le réanimer, en sortant voir des spectacles à 5$, en achetant des albums de groupes inconnus, en nous informant et tout simplement en offrant plus que deux minutes de notre temps à écouter la musique qui se crée aujourd’hui.
Prenons le temps.
Texte : David Atman
The Damn Truth (Montréal)
Royal Blood (GB)