Artiste: Yūrei

Album : Yūrei (EP)

Label:

Date de sortie: 2015

            Mike Lessard nous a offert les meilleurs albums de metal progressif de la décennie. Enfin, c’est mon impression. Les trois albums que nous ont présentés Last Chance To Reason depuis la formation du groupe en 2004 soutiennent ce fait. D’autre part, le public semble partager ce sentiment, si l’on considère l’ascension fulgurante de The Contortionist depuis l’arrivée de son nouveau chanteur.

            Originaire de Brantford en Ontario (Canada), la formation progressive en est à son premier album. Mais quel disque! Pour commencer si fort, il faut avoir du gallon… Pourtant, aucun des membres du groupe n’est connu du grand public si ce n’est des membres des très discrets projets musicaux The Shroud Of Gaia et Beyond The Zenith, de ses collaborateurs de Last Chance To Reason et de son leader, Connor Hill (également chanteur et claviériste pour la formation djent Johari). Comment se fait-il que cet EP sorte de nulle part, sans tambour ni trompette? Malheur du génie, incompréhension du talent? Allez savoir. Je le répète souvent, mais Mozart ne fût apprécié véritablement qu’après sa mort; il était trop à l’avance sur son temps, on disait de sa musique qu’elle comportait plus de notes que l’oreille ne pouvait en supporter (ah, ces Philistins!). Le progressif intelligent connait-il le même sort? Il semble parfois que oui.

            D’emblée, cet album de six morceaux ressemble à une suite logique à l’album Living Mirrors du groupe polonais Disperse, un autre disque haut en couleur qui pourtant n’est pas encore passé à la postérité. C’est en écoutant la chanson «Profane The Ground» que la similitude m’a frappé. Tout d’abord, les voix de Mike Lessard et Connor Hill empruntent un registre vocal similaire à celui de Rafał Biernacki, d’où le sentiment de familiarité entre les deux formations. Il faut aussi souligner que la guitare de Gabriel Silva Castro partage elle aussi quelque chose avec celle du jeune Jakub ytecki, guitariste du groupe originaire de Cracovie[1]. Mais il y a aussi l’usage de claviers, l’ambiance fantomatique et le bris fréquent du tempo qui donnent sa saveur particulière aux deux groupes.

            Les origines de certains musiciens œuvrant avec Yūrei teintent également la globalité de ce court opus. La collaboration de Mike Lessard, Chris Corey et Evan Sammons, que l’on connaît pour leur instrumentation au sein de Last Chance To Reason, donne le ton général à cette musique aussi éthérée que fantomatique (le mot japonais «Yūrei» signifie d’ailleurs «âme dépourvue de son enveloppe charnelle» et correspond au mythe occidental du spectre, ce qui prend ici tout son sens). La voix et les claviers de Connor Hill colorent également le son de Yūrei d’une façon semblable à celui de Johari, projet djent du Kentucky au sein duquel œuvre celui-ci (voir l’album Pale Blue, 2015).

            Les guitares de Gabriel Silva Castro et de Lyndon Barnard laissent l’auditeur stupéfait. Le «shredding» des deux musiciens est tout simplement renversant. Bien que très jeunes (Castro est étudiant débutant en administration des affaires), ça sent le virtuose, rien à envier aux mecs de Dream Theater (enfin, moi je trouve qu’une partie de la relève surpasse en technique le célèbre groupe de Petrucci). Le jeu de ces gamins, ornementé de trémolo et de vibrato de façon presque baroque, rappelle celui des grands guitaristes de l’univers djent tels que Plini, Sithu Aye et Julian Rodriguez. Les arpèges défilent, à la façon de comètes rasantes, donnant l’impression que la main du musicien pourrait prendre feu à tout moment avec une habileté qui n’a rien d’humain sinon la sensibilité de la touche et les vibrations singulières qu’elle procure.

            Tout cela augure fort bien. Reste à souhaiter qu’un label les repère sous peu. J’imaginerais très bien Basick Records ou Equal Vision s’approcher du quintet ontarien pour les intégrer à la scène metal progressive aux côtés d’ERRA, Elitist, TesseracT, Skyharbor et toutes les autres formations dont Yūrei partage la structure, le son, l’émotivité, l’acuité et le génie.

Dany Larrivée

25 décembre 2015.

https://yurei.bandcamp.com/album/y-rei

Note 1: Pour les curieux, voici quelques liens pour accéder aux projets parallèles des membres de Yūrei:

Johari: https://johari.bandcamp.com/

The Shroud Of Gaia: https://theshroudofgaia.bandcamp.com/

Last Chance To Reason: https://lastchancetoreason.bandcamp.com/

Beyond The Zenith: https://beyondthezenith.bandcamp.com/

Note 2: Afin de démêler qui fait quoi, qui vient d’où, voici le pedigree de chacun des membres:

-Mike Lessard : chanteur invité/leader de Last Chance To Reason et The Contortionist

-Chris Corey : bassiste invité sur «Wandering Flame»/guitariste pour Last Chance To Reason

-Evan Sammons: ingénieur de son/batteur pour Last Chance To Reason

-Connor Hill : chanteur et claviériste Johari/Yūrei

-Lyndon Barnard : guitariste Yūrei/The Shroud Of Gaia/ex-bassiste de Beyond The Zenith et     professeur de musique à The Studios at Erie Music

— Patrick Benjamin Murphy: claviériste Yūrei/Beyond The Zenith/ex-The Shroud of Gaia

-Gabriel Silva Castro : guitariste depuis 2014

-Khris Finley : bassiste Yūrei/The Shroud Of Gaia/guitariste de Beyond the zenith

-Brennen Creighton-Young : batteur Yūrei/The Shroud of Gaia

[1] est l’une des figures montantes du djent. Celui-ci collabore entre autres avec Plini et Sithu Aye (pour les EP I et The End Of Everything), avec Anup Sastry (Lion, EP) et Above The Earth (Above The Earth, EP) avant d’entreprendre son projet solo intitulé Wishful Lotus Proof.