Kardashev : Excipio (EP, 2013)/Peripety (LP, 2015). Subliminal Groove Records

«Chérie, va mettre les enfants et mémé au pieu, il se fait tard! Pendant que tu y es, ferme la lumière, verrouille les portes et met la boîte vocale en marche. Si on frappe à la porte, ne réponds pas. Au fait, tu n’es pas allée chez la coiffeuse ce matin, j’espère… Je veux te faire écouter un truc qui décoiffe». Voilà ce que j’aurais eu le goût de dire à ma douce moitié lorsque je suis tombé sur Kardashev. En toute honnêteté, j’aurais plutôt été tenté d’attendre qu’elle parte avant de mettre le nouvel album sur ma platine. Car, mon Dieu, ça déménage grave! Du méta extrême, vous en voulez, en voilà! Plus de harpe, de triangle, de mandoline ou de flûte de pan! Les chochottes ne sont pas admises ici. Oreilles sensibles, irritables ou personnes aux prises avec un acouphène, s’abstenir (désolé pour un ami atteint de ce mal maudit, mais je tiens à ce qu’il conserve son audition. Je dis cela pour éviter l’inévitable).

Kardashev, c’est l’étoile montante du metal extrême américain, du death metal progressif bien tassé où le calme et le répit sont proscrits. Kardashev, c’est du Dagoba ayant migré outre-Atlantique, du Nexilva états-unien, du Kartikeya sans les incantations hindous (bon, l’analogie est nébuleuse pour ceux qui ne connaissent aucun des groupes cités… disons seulement que la formation en question fait dans le metal de type «mur de briques»). Les jeunes musiciens originaires de Tempe en Arizona en ont dans le froc! Lignes de guitare techniques, arides et lourdes comme du plomb, batterie où seul Vishnu avec ses nombreux bras pourrait assurer, voix d’outre-tombe et basse annonciatrices de l’Armageddon, tout y est pour générer la répulsion chez les amateurs de musique d’ascenseur, les méditatifs et le hippie moyen. Car de la paix, des accalmies, les mecs de Kardashev ignorent ce que c’est.

Règle générale, la critique s’attarde davantage sur les albums les plus récents. Du moins, la mission de la critique est de traiter de nouveauté. Toutefois, Peripety, le dernier disque du groupe m’a laissé indifférent. Plus près du black metal extrême, l’album ne fait que dans la vitesse, le brutal et la linéarité. C’est tout ce que j’aurais à en dire. En fait, le petit dernier de Kardashev est d’un commun… L’intelligence musicale que l’on retrouvait chez Excipio, le premier disque de la formation, s’est partiellement estompée. Du premier au dernier titre, je n’ai eu l’impression que d’entendre un marteau-piqueur accompagné d’un grondement souterrain. Rien qui à mes oreilles, ne vaille la peine que je m’y attarde. Beaucoup aimeront, car les musiciens du groupe sont d’incroyables instrumentistes. Les fans de black metal scandinave y trouveront leur compte. Les adeptes de Composer Meet Corpse, le «side-project» de Nico Mirolla et Chris Gerlings, en seront plus que satisfaits (c’est cette interférence manifeste entre Composer et Kardashev qui me semble responsable de cette linéarité mentionnée plus tôt). En ce qui me concerne, je n’ai jamais été attiré par le genre. Pas mauvais, mais pas pour moi. Écoutez toutefois pour vous faire votre propre idée. Car après tout, ce n’est pas bon à jeter. La pièce «Lux» m’a tout de même séduit avec ses nuances et sa progression rythmique.

Avec Excipio, un EP réalisé en 2013, mon appréciation est tout autre. Potentiality, le premier morceau rappelle la violence et l’orchestration du défunt groupe nantais Anorexia Nervosa (à mon grand plaisir), tout en faisant écho à des formations djent et deathcore telles que Fallujah, Ascariasis, Delusion of Grandeur, The Room Colored Charlatan et Victims. La batterie de James Hyatt (qui d’ailleurs ne figure pas sur Peripety), comprend des éléments techniques empruntés au djent, notamment le «blast beat» et le tempo syncopé, alors que la guitare de Mirolla et la basse de Gerlings font généralement référence au metal progressif le plus efficace et le plus typique du genre.

D’ailleurs, la différence majeure avec l’esprit de composition qui réside dans Peripety et celui qui a donné naissance à certaines pièces d’Excipio est que ce dernier fait dans l’alternance des genres alors que le premier se cantonne à un genre fixé et rigide. On peut par ailleurs le constater avec «The Chiliagon», un morceau empreint de death dans le son et la voix et qui, à l’occasion, flirte avec le djent le plus ressenti qui soit (le «bridge» très calme et aérien qui scinde la chanson en deux rappelle immanquablement des passages dont Monuments, Periphery et TesseracT ont le secret). On retrouve également cette filiation avec la pièce «Displacement», un titre proche du style affiché par The Voynich Code, une formation deathcore/djent émergeante qui donne également dans l’épatant et le rythme brisé.

En somme, les musiciens de Kardashev n’ont pas à craindre pour l’avenir. Lorsque le temps sera venu et qu’un manager leur aura dégoté des concerts avec les têtes d’affiche qu’il faut (j’éviterais les concerts partagés avec Charles Aznavour, Céline Dion et Francis Cabrel si j’étais le dit-gérant), la formation metal sera sur une lancée qu’il sera difficile d’interrompe. Bon, il est vrai que le death progressif ne figurera jamais dans les charts et que le genre ne compte pas autant d’adeptes que Madonna (on se demande bien pourquoi), mais dans le genre, c’est rudement efficace. Ouais, écouter du Kardashev, du Nexilva et du Divine Heresy dans un marathon de metal extrême, ça serait bien. Je crois que vais allez faire ça, tiens… De votre côté, filez écouter quelques morceaux pour marquer le coup. À la prochaine!

Dany Larrivée

8 décembre 2015.

 

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Chronique parue simultanément chez Clair & Obscur (France) et Daily Rock (Québec).