Groupe: No Spill Blood

Album: Heavy Electricity

Date de sortie: 10 mars 2015

Genre: électro-sludge, synth-metal

Label: Sargent House

Le stoner et le sludge en jettent. Avec une attitude généralement désinvolte, très «sex, drugs & rock ‘n roll» et on ne peut plus authentique, les deux genres gagnent progressivement des adeptes. Il y a également dans ce type de musique une signature unique, texturée et «right to the point» qui n’est pas pour déplaire (pardonnez-moi l’expression). Bon, ça, c’est bien! Toutefois, quand on a entendu un groupe de stoner, on les a tous entendus (c’est du moins ce que certains affirment). J’ai des petites nouvelles pour vous: tous les genres évoluent, il y a des innovateurs partout. Le sludge et le stoner n’y échappent pas!

No Spill Blood est une formation à part. Le groupe de Dublin, qui fait dans le synth-métal, brise toutes les conventions. Avec ses rythmes lents, son instrumentation très «carrée» et sa lourdeur, le trio irlandais correspond au profil stoner. Mais il y a plus. Et ce plus fait toute la différence. En fait, la formation ne comprend aucun guitariste! Choqué? Probablement. Je l’ai été moi aussi. Du métal sans guitare, c’est possible? Eh oui… et bon Dieu, ça déménage! Aidé de son Sequential Circuits Pro One et d’un Six-Trak, deux synthétiseurs monophoniques au son vintage, Ruadhan O’Meara nous en met plein la vue et les oreilles. On croirait entendre des effets analogues dignes des meilleurs albums de progressif réalisés dans les années 1970 joint aux effets distordus du métal industriel le plus pur. Mais je vous assure, il n’existe aucune ligne de guitare dans Heavy Electricity, si ce n’est de quelques effets de retour employés pour créer des textures sonores complémentaires. La basse sursaturée de distorsion et l’étalage de claviers suppléent efficacement et sans revers la guitare que l’on exigerait d’entendre.

Pourquoi alors est-ce qu’on peut encore appeler ça du métal? Hummmm, disons que l’esprit métal y est très présent malgré l’absence de cet instrument pourtant fondamental. Par ailleurs, la basse et la batterie sont réelles. Matt Hedigan, bassiste et chanteur au sein de la formation, s’affaire réellement derrière sa basse et son microphone, idem pour Larry Kaye avec sa batterie[1]. Or, l’esprit métal de cet album réside essentiellement dans la lourde batterie de Kaye, la voix pleine de distorsion d’Hedigan, les claviers parfois industriel de certaines pistes de même que les textes inspirés principalement des classiques de l’horreur tels que Suspiria, Le Goblin et L’Île du Dr. Moreau (le nom du groupe est d’ailleurs tiré d’un extrait du roman écrit par H.G. Wells où le Dr. Moreau demande à l’une de ses créatures anthropomorphes d’énoncer la loi de leur tribu et que celle-ci lui répond: «Not to Spill Blood!/Ne pas verser de sang!»).

Il y a dans ce second album de No Spill Blood des éléments stylistiques qui nous ramènent au temps des MOOG et de l’avant-garde progressive des années 1970-1980, en se référant à la fois à des artistes contemporains dont Earth, Planet of Zeus et Mutoid Man (trois groupes de stoner), et certaines formations industriels de renom telles que KMFDM et Ministry (certaines pièces telles que White out, Now II et Sweet Beans me rappellent invariablement des du groupe allemand [dont un de leur morceau intitulé Lynchmob].

Mon intérêt pour cet album repose essentiellement sur son ambiance générale, ambiance qui me renvoie aux films des séries Hammer et Amicus, aux vieux métrages des studios Universal. La piste Back to Earth, tout particulièrement, a retenu mon attention. On sent dans les claviers et les effets rétro de cette pièce, tout le malaise que l’on retrouve dans les vieux films d’horreur, les vieux sci-fi et la musique derrière certaines œuvres phares du cinéma composées par la célèbre Wendy Carlos [The Shining et Clockwork Orange]. Le leader du groupe ne dément d’ailleurs pas cette filiation, admettant lui-même être inspiré d’une part par les classiques cinématographiques de John Carpenter, les trames sonores de Fabio Frizzi [City of the Living Dead, House of Forbidden Secrets], de Fred Myrow et Malcolm Seagrave [Phantasm] et certaines figures du panthéon progressif tels que Tangerine Dream et Popol Vuh d’autre part.

Bien que très moderne dans sa production, l’esprit du disque est vintage par endroit. C’est d’ailleurs ce genre de paradoxe qui me plait dans le progressif en général; comme s’il n’y avait pas de frontières et qu’au mieux, les frontières étaient là pour être franchies. En ce sens, il me semble que la musique de No Spill Blood n’est pas que du métal, pas que de l’industriel, pas que du progressif, pas que du stoner ou du sludge. Elle est un peu tout cela à la fois. En ce sens, elle est une totale curiosité. En ce qui me concerne, je vais suivre le groupe de près. J’ai l’impression que la formation n’a pas encore tout livré et qu’elle peut encore nous étonner [comme si jouer du métal sans guitare n’était pas assez étonnant en soit!].

N.B. : Street Meat [2012], le premier album de la formation, est également disponible.

Dany Larrivée

15 octobre 2015

Chronique parue simultanément chez Clair & Obscur [France] et Daily Rock [Québec].

[1] À préciser que Kaye assure la batterie sur l’album, mais que Ror Conaty est le batteur du groupe depuis la sortie de Heavy Electricity.