À la fin de la dernière saison estivale, un vaisseau spatial s’est posé sur le site d’Expocité pour accueillir un club de hockey dans trois ans… ou bien quarante, après que la rouille ait rongé la structure. Certes, vous pouvez faire preuve de pessimisme face au retour d’un groupe de millionnaires athlètes chaussant des patins, mais il faut avouer que cet amphithéâtre tout neuf permet d’inviter des formations musicales notables. Les premiers à «dévierger» les colonnes de sons constituaient une valeur sûre pour les organisateurs chargés de rentabiliser les événements tenus dans la cabane d’un demi-milliaire de dollars. Disons que la relation d’amour vive entre ce quatuor et la Vieille Capitale a assuré le succès de la pendaison de crémaillère. Ce groupe a servi une messe «métal» digne de leur réputation (et de leur appellation), mettant la barre haute pour ceux chargés de divertir par la suite la deuxième plus grosse ville de la province. En un peu plus d’un mois, les amateurs ont eu droit à la Reine de la Pop, du Country et du Quétaine (disons que la voix et l’attitude de diva d’un des chanteurs entretient le doute sur ce qui se cache sous sa ceinture). Le 20 octobre, c’est au tour des Rois des Mauvais Garçons de se présenter dans le «bol géant», au grand plaisir des chevelures d’argent (et des crânes dégarnis). Pour une dernière fois, Mötley Crüe ose un détour dans notre coin de pays, malgré les mésaventures de leurs précédentes venues (problèmes techniques dans l’ancien Colisée, un Centre Bell à moitié plein un mois auparavant et une prestation qui n’a rien fait lever au Rockfest). Sans compter que les ravages du temps ont grandement affecté les quatre membres. Leurs spectacles souffrent de leurs excès (très) divers passé et leurs performances ont perdu de leur charme jadis illustre. Des malchances, des musiciens quasi-agonisants et un public saturé par l’offre : les ingrédients en place risquaient de laisser un goût amer dans la bouche…

Un autre sénior, plus vieux, mais pourtant affichant un poids et une énergie à faire rougir des jeunots (et Vince Neil) avait comme mandat de démarrer les hostilités de cette soirée pour les nostalgiques et la progéniture de ces nostalgiques. Environ sept mille personnes (la section du haut a été soigneusement cachée par des rideaux, afin de camoufler l’achalandage modeste) accueillent Alice Cooper sous un tonnerre d’applaudissements. Cette icône du Shock Rock, dont la voix fait preuve d’une précision digne de ses jeunes années, charme les gens rassemblés dès les premières notes par sa prestation teintée d’une théâtralité envoutante. Le chanteur américain ne se limite pas de livrer ses chansons au refrain accrocheur, il fait office de chef d’un cirque qui éblouit les yeux. Connu pour ses prestations qui marient parfaitement l’horreur et la musique, le sexagénaire réserve une heure de son temps à envoyer ses meilleurs succès en multipliant les éléments scéniques. Le public assiste à un véritable théâtre de l’épouvante burlesque unique en son genre. La guillotine durant I Love The Dead, la camisole de force pour Ballad of Dwight Fry, les nombreux changements de costumes et l’abondance d’accessoires font partie de l’arsenal du charismatique personnage. Tout semblait s’agencer à la perfection, une poutine après une brosse quoi, sans le traditionnel mal de cœur. Il allait suivre un peu plus tard.

Le public ravi et ensorcelé par la performance de «l’invité spécial» reprend son souffle en attendant l’attraction principale de la soirée. Ce qu’ils ont sous les yeux laissent présager une suite aussi impressionnante sur l’aspect visuel. De nombreux projecteurs surplombent le parterre et des éléments pyrotechniques garnissent la scène. Le quatuor semble vouloir en donner plein la vue… mais ils ont négligé les oreilles. Dès la célèbre pièce Girls, Girls, Girls en introduction, on perçoit avec tristesse que notre ouïe sera mise à rude épreuve tout au long du spectacle. Le chanteur a besoin de renforts, non seulement de ses jolies choristes peu vêtues, mais de sa technique qui accompagne son chant d’un enregistrement tiré de sa gloire passée. Ses partenaires dans le crime, auxquels il faut noter l’absence du bienaimé batteur Tommy Lee (remplacé par celui d’Alice Cooper), semblent nécessiter eux aussi d’un remontant. Pour vous dire, la superposition des deux pistes manque d’homogénéité à un tel point que leur performance est retardée de plus cinq minutes après le premier morceau. Le son artificiel se prête bien aux artifices ajoutés comme les flammes et les jeux des lumières. Vous connaissez l’expression, grosse Corvette, petite… À défaut de souffrir d’une lacune, aussi bien détourner l’attention de sur elle. Pardonnez mon ton moqueur, mais je n’apprécie point les fraudeurs. Certes, le catalogue des chansons s’avère efficace; aucun succès n’a été boudé, mais l’ensemble sent le modifié comme un verre de SunnyD Lemonade. Une impression vague de citron, sans la moindre particule de ce fruit, dans un amalgame trop suret. Les gens réunis tentent de tirer avantage de cette supercherie en produisant un karaoké géant à chaque pièce, mais le spectacle ne connaîtra jamais une épiphanie digne de son contexte de «au revoir final». Notons toutefois le courage de Tommy Lee d’avoir présenté ses excuses en raison de son absence. Ce moment, pourtant sans musique ni explosion, demeure celui qui a mérité les plus forts applaudissements. Quatre-vingt-dix minutes plus tard, la formation californienne quitte leurs fans québécois pour une dernière fois sans rédiger un dernier chapitre digne de leur légende. Leurs écrits, normalement gravés dans la pierre (le rock), ont été griffonnés pour cet ultime rendez-vous sur un papier coloré, parfumé, mais sans saveur. Pas un désastre, mais les amateurs comme moi espéraient un adieu en bonne et due forme.

Texte: Nicolas Gagnon (qui a payé son billet vu, que la presse n’était pas la bienvenue dans la salle)

Photos: Sébastien Girard