Groupe: The Safety Fire
Album: Grind The Ocean (LP, 2012)/Mouth Of Swords (LP, 2013)
Label: InsideOut Music
Des quinze dernières années, les deux albums de The Safety Fire sont parmi mes plus grands et mes plus sincères coups de cœur. Vous ne les connaissez pas? Cela est bien dommage. Et j’aimerais bien remédier à cela, car si vous aimez le metal progressif ou d’autres sous-genres tels que le djent et le post-hardcore (dans n’importe lequel des cas, vous ne serez pas déçu), cette formation britannique trouvera une place de choix dans votre collection de disques (ou de musique numérique).
The Safety Fire ne fait rien comme les autres. Formé en 2006, le groupe effectue quelques pratiques et compose ici et là par temps libre pendant leurs études universitaires à la London Oratory School (hormis le batteur Calvin Smith). Or, les cinq membres de la formation jouent tous de la guitare et de la batterie depuis leur enfance. «Ils sont tombés dedans quand ils étaient petits», diraient Uderzo et Goscinny. Cela s’entend. Puis, au cours de l’année 2009, le groupe enregistre Sections, un premier EP comprenant trois titres pressés à quelques exemplaires seulement (http://www.last.fm/music/The+Safety+Fire/Sections+EP).
La bête de scène ne se manifeste que deux années plus tard, au lendemain des études, au cours de l’année 2011. Ayant quelques morceaux dans leur répertoire, le quintet se produit sur scène aux côtés de Metallica, Slipknot, Mastodon et The Mars Volta pendant le Sonisphere Festival avant d’entreprendre une tournée avec les groupes metalcore Bleed From Within et Rise To Remain, rien de moins!
La glorieuse ascension n’en est qu’à ses débuts. Avec très peu de matériel, la formation anglaise suscite malgré tout l’intérêt des festivals de musique européens. Au cours de la même période, le label InsideOut approche les cinq musiciens avec qui il publiera Grind The Ocean, un premier disque paru à l’automne 2012. L’album est une réussite. Le son y est impeccable et la réalisation, effectuée par Derya Nagle, l’un des deux guitaristes du groupe, est d’une efficacité incontestable. Les guitares de Nagle et Joaquin Ardiles ont une présence qui réjouit, offrant en avant-plan un jeu d’une étonnante aisance et d’une stupéfiante dextérité. Explosant en rythmes brisés, en foisonnement d’arpèges et en effets discordants fort originaux (surtout avec les chansons «Huge Hammers» et «The Ghost That Wait For Spring»), les lignes rythmiques soutenues par les sections de cordes sont ahurissantes.
Il faut l’admettre, vous ne sifflerez pas un air de The Safety Fire. Ce n’est pas ce genre de musique. Il y a tellement de matériel dans cette musique, tant d’effervescence et d’orchestration dans cette musique, qu’il est difficile de retenir une mesure entière. En cela, le groupe britannique fait un metal progressif pur et dur. Toutefois, vous aurez le goût de secouer la tête, faire de la «air guitar» ou d’accompagner Calvin Smith en frappant des cymbales et une caisse claire imaginaires.
Vient ensuite la voix irrévocablement singulière de Sean McWeeney. Si vous connaissez Spencer Sotelo et Chris Baretto, deux autres chanteurs variant de la voix la plus clean à la voix la plus rauque, du chant le plus doux au chant le plus hurlé, il vous sera possible de savoir de quoi il en retourne avant même d’avoir écouté un extrait audio. Il est toujours aussi surprenant de constater à quel point l’organe vocal de ces chanteurs peut couvrir un si large registre. Et McWeeney étonne d’autant plus qu’il alterne le «clean» et le «screech» avec fluidité et harmonie, usant de l’un et de l’autre avec un instinct sans faille pour le momentum. Des chanteurs du metal progressif, ce chanteur fait parmi de mon palmarès aux côtés de Sotelo, Baretto, Daniel Tompknis, Ryan Delvin et Chino Moreno.
Et puis, la batterie… la batterie! Quel batteur que ce Calvin Smith. Jamais linéaire, toujours ingénieux, toutes en puissance et en virtuosité, les parties de «drum» sont recherchées, l’instrument est exploité à son plein potentiel. Parlez-moi de ça, de la batterie qui pourrait se suffire à elle-même! Smith joue d’une batterie qui pourrait épater un professeur de conservatoire.
On peut dire la même chose de Mouth Of Swords, le second album de The Safety Fire paru en 2013. Partageant des éléments des grands noms du djent tels que Corelia, Skyharbor, Monuments et certains groupes aujourd’hui inactifs tels que Ever Forthright et Glass Cloud, The Safety Fire a toutefois un son et un modus operandi bien à lui. Il n’existe pas deux groupes comme celui-ci. Pour des raisons inconnues, on apprend d’abord en décembre 2014 que le bassiste Lori Peri annonce son départ. Quelques mois plus tard, en avril 2015, le groupe annonce qu’il interrompt définitivement ses activités. La fatale rupture n’est visiblement pas due à un manque de succès, considérant que depuis 2012, le groupe britannique participe incessamment à des tournées européennes et américaines aux côtés de Protest The Hero, Gojira, Periphery, Between The Buried And Me, The Contortionist, TesseracT, Night Verses, The Faceless, Intervals puis partage la scène avec Sikth, Animals As Leaders, Monuments et le groupe français Uneven Structures lors des très courrus TechFest et Euroblast entre juillet et octobre 2014. La séparation est peut-être le fruit d’une divergence dans la direction musicale du groupe. L’hypothèse peut être confirmée lorsque l’on écoute Good Tiger, un projet musical parallèle développé par Ardiles et Nagle, les guitaristes fondateurs de The Safety Fire. Car si TSF donne dans l’intensité, le screamo, les guitares déchainées, la batterie déjantée et désarticulée, Good Tiger fait plutôt dans un progressif tranquille et presque pop.
Comme la mode actuelle est aux réunions de formations démantelées, nous aurons peut-être la chance de revoir le groupe se reformer dans les prochaines années. Laissons retomber la poussière et on verra bien… Je croise les doigts pour que cela arrive, car franchement, je n’en ai jamais assez. The Safety Fire, ça me botte, si je peux me permettre!
Dany Larrivée
29 décembre 2015
Note: voir également A Head Full Of Moonlight, le premier album de Good Tiger (LP, 2015)