choseArtiste: The Sun Explodes

Album: The Calm, the Storm

Label : autoproduction

Date de sortie: 18 mai 2015

Genre: metal progressif

 

L’année 2015 n’est pas encore terminée que déjà on peut affirmer sans l’ombre d’un doute qu’elle est exceptionnelle, autant en termes de quantité que de qualité. Le phénomène est d’autant plus visible lorsque l’on considère l’émergence du D.I.Y. Depuis quelques années, les autoproductions abondent, et ce, dans les genres les plus divers. La chose étant, les mélomanes ont l’embarras du choix et les artistes ont une plus grande liberté. Nous n’avons désormais plus à nous en remettre aux grosses maisons de disques qui détenaient autrefois le monopole et dictaient les vogues. Tout le monde y gagne. Or, à toute évolution, il y a un revers. Les groupes sont de moins en moins visibles, anonymes dans cette masse très dense où se mêlent les artistes de renom et les formations indépendantes. Qu’advient-il alors des artistes qui se produisent eux-mêmes, qui n’ont plus de label pour distribuer leurs albums ou orchestrer des séries de concerts pour leur offrir visibilité et notoriété? Avec l’ancienne façon de faire, l’artiste était bâillonné, soumis aux impératifs du producteur. Il était aussi exploité, ne bénéficiant que d’une très petite part du gâteau. En revanche, celui-ci profitait d’une publicité, d’une distribution et d’une promotion que la nouvelle école ne permet plus. Ironiquement, ce qui fait le plus de dommages aux artistes actuels, c’est l’affluence effrénée des sorties d’albums, la mise en marché rapide et accessible de la musique indépendante. On ne discerne plus la goutte d’eau dans cet océan d’offres musicales.

Ce qui me peine le plus dans la situation, c’est que des formations exceptionnelles nous échappent. C’est le cas du groupe britannique The Sun Explodes. Le quintet, originaire de Carlisle au Royaume-Uni, se produit depuis six ans. Discret, il ne se manifeste publiquement qu’en septembre 2009, diffusant tour à tour les pistes Weight your Sins, The Game et The Fake via MySpace. L’ensemble, qui forme au final un premier EP éponyme, fait alors peu de bruit. La notoriété de la formation anglaise se construit alors lentement par le biais des réseaux sociaux et lors quelques apparitions sur la scène musicale indépendante dans le Royaume-Uni. Trois ans plus tard, paraît un premier album officiel de 9 titres intitulé Emergence, un album épars quoique techniquement intéressant où l’on perçoit une profonde recherche d’identité. Il faudra attendre l’automne 2013 avant que soit organisée une première tournée officielle de six dates avec Exist Immortal, Aeolist et Nocturna, trois formations anglaises œuvrant elles aussi dans le métal émergeant. Les événements s’alignent alors comme les astres, concourant à créer le «momentum» tant attendu. Une autre tournée, en lien avec la sortie de l’album We Build Mountains (un album plus mature), est également mise sur pied au printemps 2014. Le groupe partage alors la scène avec Vera Grace, un jeune groupe de metalcore anglais, le temps de livrer cinq concerts aux quatre coins de l’Angleterre. Le tout s’orchestre alors dans les règles de l’art. Il y a toutefois un hic: le groupe ne se produit qu’en Angleterre et se condamne à y demeurer (voyez, l’effet pervers de l’autoproduction mentionné plus haut).

Les cinq jeunes musiciens semblent toutefois réaliser le tort que cette série de concerts exclusivement livrée au Royaume-Uni a pu causer à leur formation. Il y a de cela quelques jours, The Sun Explodes a participé au festival Euroblast (Cologne, Allemagne) et au Mammothfest (Brighton, Angleterre). On peut déjà affirmer sans l’ombre d’un doute que le groupe a déjà parcouru un bon bout de chemin et que les choses commencent finalement à tourner (soupirs de soulagement). Mais comment se fait-il que la scène progressive en général ignore encore ce nom pourtant très prometteur? En Amérique du Nord à tout le moins, le nom The Sun Explodes n’est connu que par un nombre restreint d’abonnés à Bandcamp ou par quelques mélomanes curieux ayant découvert presque par miracle la page Facebook du groupe. Le problème est que la formation aurait un besoin urgent d’un impresario et que le groupe n’est sorti de l’Angleterre que depuis quelques jours à peine. Mais voilà que de jouer aux côtés de Between the Buried and me, de Cynic, de Haken et de Monuments et un nombre significatif d’artistes de la relève du métal progressif lors du festival allemand change totalement la donne. Le temps de faire leur effet, les deux tournées mentionnées plus haut pourraient offrir au quintet de Carlisle une visibilité non négligeable et la reconnaissance qu’il mérite.

Outre ces considérations essentiellement pratiques, la sortie de l’album The Calm, the Storm va éventuellement bouleverser le court des choses, et ce, pour le mieux. Bien que très court (à peine plus de 20 minutes), ce EP est à mon avis une œuvre remarquable tant par la qualité du mixage, le soin apporté à l’ingénierie sonore qu’à l’efficacité de ses cinq pièces. La première pièce, intitulée The Calm, m’a jeté à la renverse dès la première écoute. Une voix feutrée, voilée, vaporeuse et presque fantomatique, celle de Dave MacLachlan, accueille l’auditeur avec grâce et harmonie. On perçoit dans la phrase du premier couplet, «I don’t sleep, I dream», une sensibilité, une délicatesse et une poésie qui se muent soudainement en une énergie palpable lorsque les instruments viennent accompagner la voix de son talentueux chanteur. Digne des grandes voix du métal telles que Chino Moreno (Deftones), Einar Solberg (Leprous) ou Tom Yorke (Radiohead), celle de MacLachlan est ce qui retient l’attention de prime à bord. Il est d’ailleurs difficile d’isoler les harmonies vocales de l’instrumentation dans des pièces aussi puissantes et enlevantes que The Calm et I Walk Alone ou dans les refrains totalement décapants de The Unnatural (une composition encore plus efficace que le comparable The Cloak de Leprous). Et que dire des rideaux de guitares et de la justesse sans faille de la batterie, sinon qu’il est impossible d’en faire le reproche…

Franchement, à entendre cet album, on a l’impression que la formation a beaucoup plus que 4 albums et 25 morceaux à son répertoire. On jurerait que le groupe a une expérience de composition équivalente à une ou deux décennies. Or, il n’en a que six! Que leur promet l’avenir? Sûrement que de bonnes choses (si toutefois le groupe fait l’effort de se produire dans le reste de l’Europe et qui sait, en Amérique du Nord), car de toutes les formations de progressif émergentes, je suis convaincu que The Sun Explodes est l’une de celles qui s’implanteront avec le plus de durabilité. Il ne saurait en être autrement.

N.B.: Également disponibles, les albums The Sun Explodes (EP, 2009), Emergence (LP, 2012) et We Build Montains (LP 2013).

Dany Larrivée

8 octobre 2015

Chronique parue simultanément chez Clair & Obscur (France) et Daily Rock (Québec)