Artiste: Caligula’s Horse

Album: Bloom

Date de sortie: 23 octobre 2015

Label: Autoproduction

Caligula’s Horse en est à son troisième album. Pas mal pour un groupe formé il y a à seulement 4 ans! Et puis, osons affirmer pour le coup que l’évolution entre chaque album est fortement marquée, autant du point de vue technique et compositionnel, que dans les genres musicaux exploités depuis leur premier disque paru en 2011.

Profitant de la vague folle du «djent» (le terme «tsunami» serait peut-être plus adéquat), Caligula’s Horse surfe à présent sur ce courant de manière partiellement assumée. Car si le quintet australien côtoie actuellement les sonorités de Shattered Skies, Voices from the Fuselage et TesseracT ou qu’on y trouve à tout le moins d’importants points de correspondances, celui-ci conserve néanmoins la touche rock progressive que l’on retrouvait jadis dans Moments from Ephemeral City (2011) et The Tide, the Thief and River’s Ends (2013). La chose est d’autant plus vérifiable avec la chanson Bloom, une pièce qui fait très Waters/Gilmour en introduction pour éclater deux minutes plus tard en une pièce typiquement djent avec sa rythmique batterie à double grosse caisse et sa guitare mathématique et plutôt «tesseractienne» qui se perpétue sans interruption jusqu’à la fin du morceau suivant (la piste Marigold est d’ailleurs une extension du premier titre).

Avec son nouvel opus, la formation nous offre un assortiment musical empreint de compromis et de belles rencontres. À tout moment, on sent qu’il y un travail d’équipe, un partage des idées et des influences entre les musiciens. Il y a aussi dans l’ensemble de cet album une formule, un mode opératoire qui profite et gâte à la fois sa production (selon le point de vue). Là où le mélomane est convié à consommer une musique plurielle et bipolaire, l’auditeur moyen est confronté au choix déchirant entre son amour pour un rock progressif plutôt rétro et un djent très actuel. J’ai pour ma part une attirance marquée pour ce genre de pluralité des genres en un seul et même morceau. Cette approche est d’ailleurs ce qui me plait le plus du progressif en général puisqu’un simple motif musical tend vers la nuance, le développement, l’enchaînement et le changement graduel de son propre rythme, modifiant sa ligne directrice pour l’abandonner par la suite. Pour une oreille moins habituée à ce type de changement de cap, la chose peut cependant déplaire. Le puriste s’en trouvera également déçu, ayant le désir d’entendre du rock progressif de la première à la dernière note, alors qu’il n’en est rien.

Avec Bloom, Caligula’s Horse sort visiblement des sentiers battus. Tantôt partageant un style proche de certaines compositions figurant sur Pale Communion, le dernier album de Opeth (voir les chansons Dragonfly et Undergrowth), tantôt faisant davantage allusion au LP Living Mirrors du groupe Disperse, la formation australienne déploie son plumage bigarré à la façon d’un paon et expose toutes les plus belles couleurs de son cercle chromatique (une petite allusion ici à la pochette de l’album Moments from Ephemeral City).

Musiciens de talent, on perçoit dans le jeu de chacun une maîtrise parfaite de leur instrument. En effet, la voix de Jim Grey est d’une justesse d’exécution et d’une délicatesse que l’on reconnaît aux Ashe O’Hara, aux Daniel Tompkins et aux Ryan Delvin du mouvement djent, ce sous-genre du metal progressif qui se fait un point d’honneur à explorer le spectre vocal du ton le plus clair au ton le plus sombre. Les lignes de guitare de Sam Vallen et de Zac Greensill sont elles aussi complexes et brillantes, rien qui ne pourrait d’ailleurs être envié à Misha Mansoor, Derya Nagle ou tout autre grand guitariste dans le genre. Quant à la batterie et à la basse, elles soutiennent l’orchestration avec la robustesse d’une colonnade, usant de rythmes à la fois lourds et mélodieux, saccadés et réglés comme une horlogerie suisse.

Ce disque est sans contredit un incontournable pour les fans de la formation. Très abouti, éclectique à souhait et d’une réalisation impeccable, surtout pour une autoproduction qu’on croirait sortie des meilleurs labels, Bloom mérite d’être retenu parmi les productions de djent et de metal progressif nouveau genre aux côtés de Nostalgia (Corelia), de Elitist (Elistist), de Grind the Ocean (Safety Fire), de Blinding White Noise (Skyharbor), Node (Northlane) et de Gnosis (Monuments).

Quoi qu’il en soit, la bande de Caligula a le vent dans les voiles. Après avoir partagé la scène avec The Dillinger Escape Plan, Mastodon et The Ocean au printemps dernier, puis avec TesseracT en octobre 2015, on se demande quels seront les prochains défis du band originaire de Brisbane (la formation se produira également avec le groupe jazz métal norvégien Shining en novembre prochain). Si «Sky is the limit» est l’expression qui me vient tout de suite en tête lorsque je songe à ce que peut accomplir un groupe musical avec une pareille maturité, force m’est d’admettre qu’ici la limite sera fixée quelque part entre l’espace et notre atmosphère terrestre, car avec ce disque la limite habituelle vient d’être amplement franchie. D’ailleurs, avec les 33 000 «likes» qui figurent sur la page Facebook du groupe, je serai davantage tenté de crier : «to the infinite and beyond !». Car pour un jeune groupe, une pareille reconnaissance ne peut qu’être signe de succès.

Dany Larrivée

27 octobre 2015

Chronique parue simultanément chez Clair & Obscur (France) et Daily Rock (Québec)