Si l’aurore.

Serait-ce la genèse d’une artiste complète, généreuse et pleine de vie?

Le troisième album de Marie-Pierre Arthur surprend par son kitsch. Loin d’être péjoratif, le kitsch nous rappelle une époque depuis longtemps révolue, mais qui fait quelque part partie de nos racines. «Le kitsch, pour Milan Kundera, c’est la négation de la merde» et de l’artificiel. C’est aussi «la station de correspondance entre l’être et l’oubli». Le néant, le vide, la plénitude. Si l’aurore se caractérise beaucoup par sa désinvolture, voire par sa naïveté, il est surtout un album mature et honnête. La chanteuse originaire de la Gaspésie nous répète comme un mantra «ça va finir anyway, pourquoi pas rire anyway» comme si elle tenait entre les mains la clef du bonheur. Les influences sont audibles à cent mille à la ronde, mais pourtant le produit final en est un de tout à fait original. Alors que certains riffs pourraient s’insérer dans de vieux films de Ron Jeremy, la présentation globale est tout en douceur, sensuelle et non moins efficace. Les multiples collaborateurs de talent n’enlèvent en rien tout le charisme de la principale intéressée. Sa voix  est en grande forme, les textes -écrits en collaboration avec Gaële sa complice de toujours- sont sentis et interprétés avec verve.

MPA-La TulipeOn peut assurément te considérer comme une artiste qui sait rassembler ou du moins qui sait très bien s’entourer. Tu as collaboré avec beaucoup d’artistes au fil des années. Je m’intéresse surtout à la chanson Final approach avec Buck 65. Quelle est l’histoire derrière cette collaboration et est-ce que le succès de la chanson t’a ouvert certaines portes dans le Canada anglais?

Certaines de mes chansons étaient parvenues aux oreilles de Buck 65, qui en plus d’être un rappeur est animateur à la radio de CBC dans l’ouest du pays. J’ai été très charmée lorsqu’il m’a appelé pour me présenter le projet. Nous avons fait cette chanson sans même se rencontrer. Il m’a fait parvenir une piste instrumentale avec certaines idées de mélodies pour le refrain en me donnant carte blanche pour écrire les paroles. Il a ensuite construit le reste de son texte à partir du refrain que j’avais écrit. À savoir maintenant si cette collaboration m’a ouvert certaines portes? Tout ça est plutôt intangible. Disons juste que les échanges musicaux entre Radio-Canada et CBC sont très positifs pour plusieurs artistes québécois, et que je suis très choyée d’avoir été appuyée par CBC depuis mes débuts.

MPA-La Tulipe J’ai l’impression que tu as créé beaucoup de vidéoclips comparativement à plusieurs autres artistes québécois. Est-ce que tu considères l’art du vidéoclip comme toujours d’actualité pour accompagner une chanson, et cela malgré la quasi-inexistence de plateformes de diffusion?

Je cherche toujours en fait à créer un univers visuel autour de ma musique. C’est intéressant de travailler sur un projet qui tente de représenter par l’image une chanson ou l’artiste à un moment bien précis. Je crois aussi que le clip peut rejoindre un différent public. Certains garderont en tête l’image, d’autres les mélodies ou le texte de la chanson. Ça dépend du type de relation que la personne a avec la musique. Personne ne ressent et ne perçoit une chanson de la même façon. Mais ce qui me plaît surtout, c’est encore de pouvoir collaborer avec des gens passionnés qui font un métier bien loin du mien, mais qui viennent se compléter parfaitement.

Je pense qu’on peut aussi dire que tes vidéoclips sont en général plutôt surprenants si on pense aux zombies de All Right, ou au côté artsy de Fil de soie. Le vidéoclip de Déposer les armes a également beaucoup fait jaser grâce à la participation du danseur et chorégraphe Dave St-Pierre. Comment s’est déroulée cette collaboration? Et est-ce que c’est quelque chose que tes fans peuvent s’attendre à revoir un jour, c’est-à-dire le mariage de ta musique à d’autres formes d’art?

Le clip avec Dave St-Pierre est un moment qui m’a profondément touché et ému. Bien évidemment je ne pourrais pas refaire un autre clip avec de la danse contemporaine, mais chaque fois qu’un artiste s’accapare une chanson pour en faire quelque chose d’autre, à son image, -et que le résultat est réussi- c’est un moment de grâce. C’est faire de l’art avec de l’art. Faire une nouvelle oeuvre avec un objet qui est déjà une oeuvre en soi. On ne peut pas demander mieux. En tant qu’artiste, c’est magique de voir l’univers d’une autre personne s’intégrer à son propre travail.

MPA-La Tulipe Tu as été finaliste au prix Polaris avec Aux alentours et même en nomination au Juno. Que penses-tu justement de la place des artistes francophones dans les autres provinces canadiennes? Et est-ce que ce genre de nomination pour des prix aussi prestigieux permet de développer un public et de l’intérêt des diffuseurs?

Ces nominations m’ont vraiment fait chaud au coeur mais je ne crois pas que concrètement elles aient pour moi développé un marché important dans le Canada anglais. Par contre, j’ai toujours été très bien accueillie par le public. J’ai beaucoup joué en Ontario, à Winnipeg et jusqu’à Vancouver. J’ai rencontré beaucoup de francophones à mes spectacles. Il ne faut pas l’oublier qu’il y a beaucoup de francophones partout au Canada. Il faut aller à leur rencontre et partager nos cultures, c’est essentiel. J’ai aussi rencontré beaucoup d’anglophones qui ont littéralement trippé sur ma musique. Ils ne sont pas aussi fermés que l’on aurait tendance à le croire. Je ne pense pas nécessairement développer le marché anglophone, c’est encore extrêmement difficile pour des artistes francophones, toutefois il est important de participer, tranquillement, mais sûrement, à l’ouverture et au partage de nos cultures, ce sont les prochaines générations qui en bénéficieront. On doit installer dans la tête des gens qu’ils auront autant de plaisir à voir un spectacle de musique en français qu’en anglais, et que la musique est universelle, peu importe la langue dans laquelle elle est chantée.

MPA-La Tulipe Ta musique est éthérée et très ambiante. On y entend les grands espaces, le vent et le fleuve de la Gaspésie. De la même façon dont on entend la forêt dans l’oeuvre de Richard Desjardins. Quelle est la place que joue ta région natale dans ton travail de composition? Comment jauges-tu entre la folie de Montréal et la plénitude de la péninsule en période de création?

En fait, tout mon travail de création est fait à Montréal. La Gaspésie pour moi c’est les vacances, le repos et la famille. De toute façon, plusieurs chansons sont composées par Frank (François Lafontaine  ex-Karkwa et copain de la madone) qui est un pur Montréalais. Il a la tête dans les nuages ce gars. Le vaporeux et le venteux ne viennent pas que de moi.

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Entrevue : David Atman

Photos : Vanwho Photographie