Groupe: Night Verses

Album: Lift Your Existence

Label: Easy Killer Records (US)/Southworld Records (UK)

Sortie: 2013

À ce qu’on dit, «la musique adoucit les mœurs». Enfin, j’ignore si on peut affirmer cela à tout coup, mais généralement ça le fait (je sais bien pour ma part que faire jouer du hip-hop ou du Katy Perry si je suis en périphérie risque de me rendre «berzerk» au point d’avoir le goût de faire comme dans «Walking Dead» et de fracasser des crânes avec l’arme de poing la plus accessible, bâton de baseball, pied-de-biche ou autre). Ceci dit, les goûts ne font pas l’unanimité, rien de plus vrai. Un autre adage dit d’ailleurs «des goûts et des couleurs il ne faut point discuter». Permettez-moi alors de faire le trouble-fête et d’en discuter tout de même. Je vais m’imposer et surtout imposer ma vision du paradis sonore.

Fidèle à mon habitude, je me lance une fois de plus dans un papier portant sur du prog metal. Je demeure toujours un peu dans cette zone familière, faisant parfois entorse à mes propres envies, histoire de ne pas me fermer à l’univers des possibles. Or, du metal progressif, j’en mange, je m’en goinfre sans arriver à satiété. Pour ceux qui me suivent ou tombent parfois sur quelques-unes de mes chroniques, vous n’êtes pas sans savoir que j’adore plusieurs sous-genres de cette grande école, à commencer par le jazz metal, le death progressif, le black metal symphonique, le metalcore, le deathcore, le metal progressif psychédélique et le djent. Je ne sais pas, il y a quelque chose, une énergie vitale, une énergie primale, voire parfois animale, qui émane de ces types de musique. Mais il y a plus. À mon avis cette musique exprime non seulement le dynamisme du son et l’infini spéculatif de la mathématique musicale à son plus fort potentiel, mais elle offre le maximum de textures.

Ceci est d’autant plus vrai chez les artistes post-hardcore tels que Night Verses, groupe dont il est ici question. Vocalement, le registre de Douglas Robinson (actuel chanteur du groupe et ancien membre de The Sleeping) oscille entre le grind typique des genres «core» et le chant calme et fantomatique proche de l’angélique voix du célèbre Chino Moreno (le chanteur de mon Panthéon personnel). On ne peut faire plus texturer, à mon avis. Côté guitare, eh bien là, mes amis, on exploite l’instrument de toutes les façons possibles. Dans certaines pièces telles que «The Rot Under The Sun», «Time Erases» et «Yours», Nick De Pirro explore la technique post-rock qui consiste à faire usage de reverb et de delay en créant des enchevêtrements de notes aériennes, voire moléculaires (aux lecteurs étrangers au post-rock, le jeu de The Edge, le guitariste de U2, est l’un des fiers représentants de cette technique). À d’autres endroits, comme dans la pièce «Rage», De Pirro fouette ses cordes pour créer un bruit plus qu’une note (Eyes Cast Skyward et She Was The Universe usent eux aussi de cette technique étrange, mais fort intéressante). Quant au jeu de guitare que l’on discerne dans les fantastiques pièces «Antidepressants» et «Pull Back Your Teeth», celui-ci est empreint d’audace, puisqu’on y entend des dissonances croisant un riff fort simple et répété qui, une fois métissé, donne un résultat époustouflant et très avant-gardiste. Côté drum et basse, on peut affirmer que Reilly Herrera Aric Improta font partie des jeunes espoirs de la scène metal. Herrera joue de la basse comme un dieu (surtout du «Whatever Makes You Hate Me»), alors qu’Improta maîtrise la déconstruction musicale, le contre-tempo et la polyrythmie comme pas un. De fait, on ne peut pas dire que les mecs de Night Verses sont des ploucs.

De manière générale, on peut dire d’emblée que Night Verses n’invente pas un genre. Leur post-hardcore respecte l’esprit du style: cris, mélodies vocales, émotivité, rage, basses fréquences, batterie hors-tempo, guitares très techniques, parfois lourdes, parfois poids-plume. Or, l’équation de ces facteurs donne quelque chose de particulier qui en fait une formation tout de même unique. Avec «Whatever Makes You Hate Me», Night Verses nous dévoile qui ils sont. Partant d’un air similaire à celui de la chanson «Tempest» de Deftones, le quatuor américain exprime sa singularité relative avec un refrain et un couplet plus personnel où les notes fourmillantes de guitares de et la prenante basse de Reilly Herrera teintent ce titre unique.

A contrario, le fan de Deftones que je suis ne peut ignorer l’influence manifeste du groupe de Sacramento sur la musique du jeune groupe. Les pièces «Parasomnia» et «Blind Lighthouse» sont des titres qui auraient carrément pu être composés par Carpenter et Moreno puis mis sur Diamond Eye. À 3: 40, on croirait même entendre la gémissante voix féminine figurant dans le bridge de l’excellente pièce «Knife Prty» bien qu’il s’agisse de la guitare de De Pirro (je vous le dis, ce guitariste exploite sa guitare au maximum!).

Le titre le plus commercial de l’album est sans doute «Elucidation», un morceau très «White Pony» qu’on n’aurait aucun mal à diffuser sur les ondes d’une radio rock américaine ou à MTV. Chaque partie y est accrocheuse, donnant le goût d’un beau moshpit en règle (surtout pour ceux de la génération P.O.D., Three Days Grace et Papa Roach telle que votre présent chroniqueur). En fait, même pour ceux et celles pour qui le post-hardcore n’est pas la tasse de thé, il est possible que cette formation vous plaise. Il y a un je-ne-sais-quoi d’enivrant, d’intoxiquant (dans le bon sens), quelque chose de mordant, de défoulant. Et tout cela s’écoute aussi aisément que l’on goûte au miel.

Formé en 2012, le groupe n’est débarqué sur la scène progressive que depuis peu. Enregistrant Out Of The Sky, un premier EP autoproduit la même année, la formation originaire de Long Island (New York) et Fullerton (Californie) est étonnante. Et leur talent n’a pas été ignoré. Signés par Graphic Nature/Equal Vision Records à l’automne 2015, la formation américaine est présentement en studio pour préparer son prochain disque. Equal Vision, un label que j’affectionne particulièrement, possède un flair remarquable pour dénicher les nouveaux talents post-hardcore et djent. C’est sous cette maison de disque qu’ont été produits A Lot Like Birds, Hail The Sun, Circa Survive, les regrettés Glass Cloud, les excellents The Dear Hunter, les prodigieux Polyphia, Texas In July et We Came As Romans. Inutile de vous dire que Night Verses a les chances de son côté. Ceux-ci sont entre très bonnes mains (et Equal Vision sait pertinemment qu’ils ont mis la main sur un produit sûr). Cela dit, leur participation au Monster Energy Outbreak Tour avec Crown the Empire, Issues, One Ok Rock du 20 mars au 18 avril sur les côtes ouest et est Américaines fait état du triomphe que nous pouvons anticiper chez cet ambitieux groupe post-hardcore. Pour ma part, j’anticipe avec enthousiasme l’album à venir… (imaginez Homer Simpson lorsqu’il est excité et vous vous figurerez de quoi j’ai l’air en ce moment).

http://www.NightVerses.com/

Dany Larrivée

Article paru simultanément chez Clair & Obscur (France) et Daily Rock (Québec)