Il y a des rencontres musicales qui changent radicalement le cours de votre vie. Lorsque j’ai découvert le Texas Blues, cette expérience a transformé ma vision de la musique et marqué à jamais de son empreinte mon existence.
Rares sont les musiciens, à l’instar d’un Stevie Ray Vaughan ou d’un Johnny Winter qui par leur générosité, leur virtuosité, leur talent et leur charisme parviennent à insuffler à leur musique une personnalité si forte, un son si immédiatement identifiable, si unique qu’il bouleverse vos sens, fait vibrer votre corps entier et résonne au plus profond de votre cœur, de votre âme.
Philip Sayce est de ceux-là.

Guitariste et chanteur canadien vivant à Los Angeles, mais qui a grandi et fait ses armes dans les bars et clubs de Toronto, Philip Sayce a collaboré avec de nombreux artistes comme Jeff Healey ou encore Melissa Etheridge.
En 2009, il se lance dans une carrière solo avec l’excellent album «Peace machine». «Influence» sorti cette année et réédité par Warner Music Canada est son cinquième album studio (sixième si on inclut «Philip Sayce Group» en 1997 ndlr) et représente sans doute son album le plus riche et le plus abouti.
Les racines de Philip Sayce sont évidentes, fortement influencé par Stevie Ray Vaughan, Jimi Hendrix, Jeff Healey et les vieux maîtres du blues que sont Albert Collins, Albert King ou encore Buddy Guy, il a cependant su trouver sa propre personnalité à travers un blues rock débridé, très fuzzy, teinté de funk et éminemment émotionnel.

Après avoir embrasé le Café Campus l’hiver dernier, le Festival de jazz de Montréal et le festival de blues de Mont-Tremblant cet été, Philip Sayce revient donc ce soir à Montréal, à la Sala Rossa pour un show très intimiste puisqu’il ne sera accompagné que du bassiste Joel Gottschalk et aura troqué son emblématique Fender strat 63’ pour un Dobro National electro-acoustique.
Philip a la réputation d’être un extraordinaire showman, un virtuose de la guitare et sa générosité sur scène irradie tant qu’il est pratiquement impossible de rester insensible à ses prestations scéniques. Pour avoir eu la chance d’assister à tous ses shows en terre québécoise cette année, je peux en parler et je suis vraiment impatient de voir comment sa musique va vibrer en configuration acoustique…

21:30, Philip et Joel montent sur scène. Assis sur un simple coffre en bois, chapeau vissé sur la tête, lunettes, veste en jean et foulard autour du cou, l’allure est décontractée et c’est tout sourire que Philip empoigne son dobro, partant pour un premier solo enflammé avant d’entamer «Steamroller» tiré de l’album éponyme.
Cette première chanson va donner le ton à la soirée, très rock n’roll en studio, elle nous révèle ce soir un caractère définitivement plus blues joué à la slide guitare, le tempo a été ralenti également accentuant du même coup cette «vibe» blues, on pourrait même supposer que cette chanson a été originalement écrite sur une acoustique tellement elle semble évidente à l’écoute de cette version.

Le son de la guitare à résonateur est tout simplement superbe, la sonorité métallique du dobro couplée à une fuzz rend le son à la fois tranchant et chaleureux, brut et sauvage et quand bien même la virtuosité de Philip sur sa Fender n’est plus à prouver, son jeu «acoustique» est transcendant d’émotions prouvant sans effort qu’il est un artiste à multiples facettes et un instrumentiste qui compte parmi les plus grands de ce monde.
La basse de Joel quant à elle martèle pesamment comme s’il voulait compenser l’absence du drums par un surplus d‘énergie et de fougue, cette ambiance vieux blues acoustique est magique.

Lorsque les deux musiciens entament «I’m going Home», deuxième titre de la soirée dans sa version «dobro survitaminé», je suis heureux de redécouvrir cette chanson, elle revêt un charme nouveau, presque inattendu, cela va être le cas tout au long de ce show et c’est exactement ce que j’attendais!
Je ne suis pas le seul à apprécier le spectacle d’ailleurs, l’accueil du public est très chaleureux et enthousiaste, les applaudissements crépitent tandis que Philip glisse quelques mots à l’audience, il est visiblement ravi de jouer ce soir et ne boude pas son plaisir d’être de retour à Montréal.

Les deux musiciens jouent ensuite une couple de covers de blues traditionnel qui sont bien sûr aussi de la partie ce soir, dobro oblige, il commence déjà à faire très chaud à la Sala Rossa, c’est à croire que le diable qu’a rencontré Robert Johnson «at the crossroads» est ici!
Encore une fois, Philip parvient à s’approprier ses vieux classiques avec brio et à y insuffler sa propre personnalité tandis que ses doigts virevoltent sur la touche de sa guitare dans un feu d’artifice de notes, nous sommes tous médusés!

Viens la très funky et whawhaïsante «Scars» en version studio qui prend elle aussi une tout autre tournure en acoustique, l’énergie est évidemment toujours là, mais dépouillée d’une grande partie de son «électricité» et de sa pédale wha wha, elle a un côté primal qui séduit par son côté plus blues «roots».
«Give it time» succède à «Peace Machine» permettant à Philip d’apporter différentes couleurs à son son à l’aide de ses diverses fuzz. A ce propos, j’aime particulièrement comment tout au long du show, il a su utilisé la palette sonore de sa guitare à résonateur tout en la métissant de sons fuzzy qui lui sont si chers lorsqu’il joue électrique donnant une version «Delta blues rock n’roll» très séduisante un peu dans la veine d’un Éric Sardinas, le bottleneck en moins!

Alors que le show touche déjà à sa fin, on se rend compte que la virtuosité de Philip à la guitare occulterait presque le fait qu’il est également un chanteur magnifique, sa voix pleine d’émotions, presque soul est tellement puissante qu’il nous gratifie de passages a capella, sans même avoir besoin d’un microphone!
Cette voix toujours à l’image de sa personnalité nous communique sa générosité et son amour de la musique, on se sent vraiment béni.
C’est ce qui frappe toujours dans le jeu de guitare et le chant de Philip, ce sentiment d’urgence, d’être toujours sur la brèche, que tout son art vient du plus profond de son cœur, on sent que sa musique saigne, vit à travers lui et qu’elle trouve en nos âmes l’écho qui la nourrit.
Philip Sayce est une sorte de Van Gogh de la musique ayant troqué sa palette pour une guitare, ses couleurs pour des notes «moi mon travail j’y risque ma vie et ma raison y a sombré à moitié»…

Enfin, tandis que «Next to you» clôture cette incroyable soirée, je reste encore (et toujours!!!!) impressionné et enchanté par les versions «dobro-fuzzy» des chansons même si j’en aurais aimé une ou deux avec le son du dobro complètement «nu»…
Dans tous les cas, on retrouve ce soir en «acoustique» cette même virtuosité, cette même générosité, cette même modestie qui caractérise tant la musique et la personnalité de Philip Sayce et ce show me permet de réaliser encore un peu plus à quel point sa musique est profonde, passionnée, inspirée et puissamment connectée au blues ce qui paraît moins évident de prime abord à l’écoute de ses albums studio.

Philip nous aura dévoilé une autre facette de son immense talent (trop peu reconnu à mon goût), plus intime sans doute et du coup plus touchant aussi, on a également le sentiment d’un certain retour aux sources, d’un voyage initiatique dans les racines du blues et le temps d’un concert, on se prendrait presque à s’imaginer boire un whisky dans un juke joint enfumé du Mississippi profond, au milieu des bouteilles d’alcool brisées et des bagarres, là où précisément Philip Sayce rendrait hommage à ses pairs qui seraient certainement fiers de le voir porter si haut le mystique étendard du blues…

Texte: Ronan Le Hec’h 

Photo: Pété Photographie