Cela fait des mois que je me retiens pour vous entretenir d’un album qui, selon moi, est le summum du metal extrême et du metal progressif. Comme Gollum, j’ai jalousement protégé ce précieux album. J’ai cru pendant un certain temps qu’il aurait été déplacé de traiter d’un album qui serait susceptible de ne plaire qu’à une ou deux personnes. Mais bon, depuis 2 ans, je n’arrive pas à démordre de ce petit EP de cinq pistes. À présent, j’ai cette irrépressible envie de partager avec vous le disque qui a bousculé mes propres conventions, l’album qui a réveillé chez moi cet amour pour la violente lourdeur d’une poésie en musique.

Le disque que votre fervent amateur de djent et de prog metal est sur le point de vous présenter est un opus sans aucun comparatif qui, s’il fait montre d’une brièveté manifeste, ne s’empêche certes pas à explorer les tréfonds de l’émotivité (même si cette même émotivité ne fait pas dans la dentelle, le glamour et le «conter fleurette »).

Terra Mourn, le groupe dont il est ici question est un projet musical entrepris en 2012 par le très jeune chanteur ukrainien Denis Osetrov et son compatriote guitariste Daniel Lem. Joint plus tard au vocal clean par le Canadien Josh Ford (également chanteur et bassiste dans la formation djent The Luminary), le duo initial devient rapidement sextuor, comptant parmi eux des musiciens d’horizons et d’origines diverses (c’est-y pas beau le multiculturalisme rendu possible par la démocratisation d’internet, des fichiers de partage Dropbox et des logiciels d’enregistrement, on peut maintenant faire de la musique sans s’être vu !). Enfin, nul ne sait si le groupe existe encore aujourd’hui. La page Facebook de la formation ne donne plus aucune information sur sa situation. On n’y voit pas de dates de spectacle ni l’annonce d’une quelconque parution. La dernière fois qu’on a entendu parler du groupe, c’est lors de la mise en ligne de la pièce « Rise » au printemps 2014. D’ailleurs, le titre n’est pas une nouveauté, puisqu’il s’agit d’une chanson inédite antérieure à son premier enregistrement officiel mis en ligne en décembre 2013.

You Made Me Realize, le seul et unique album de Terra Mourn comporte des pièces très courtes, mais très poignantes aux sonorités corrosives, abrasives, alcalines et grises comme l’acier dépoli. Son registre, majoritairement très grave de par la voix très sombre d’Osetrov, la basse en drop-D d’Anton Brzeski et la lourde batterie qui soutient l’ensemble, possède également un étrange aura d’un noir plus sombre que l’absence de lumière du vide sidéral. Les guitares d’Andrei Ivanov et de Daniel Lem viennent violer cette obscurité sans astre pour accentuer l’effet de plomb de cette infernale machine à broyer le soleil. Toujours dissonantes, staccato au possible, calculées de façon astronomique et décousue en apparences, les lignes de guitare sont à mes yeux ce qui se rapproche de la perfection. On ne peut faire plus «anti-théorique», plus anti-académique tout en démontrant logique et rythme. Et d’ailleurs, tout cela se tient comme si des colonnes d’acier supportaient cette immense et pachydermale structure.

Des cinq morceaux présentés, pas une pièce ne me laisse indifférent. Je passe depuis des années l’intégralité de l’œuvre, osant même très souvent appuyer sur le bouton « repeat » de mon iPod. Cette musique m’enivre, fait sortir de moi toutes les toxines possibles. Cette musique est pour moi une catharsis. Pour certains, voire une majorité, celle-ci peut être un calvaire. Car la voix d’Osetrov n’est pas très accessible. Même le fan de growl le plus averti ne sera peut-être pas charmé par ce type de chant. Pour ma part, c’est cette voix (alliée à la voix clean et très metalcore de l’Ontarien Josh Ford) qui maintient ma curiosité morbide et ma fascination pour cet album de génie.

Pour les oreilles plus sensibles, la formation a toutefois usé d’un habile stratagème : elle a pensé mettre en ligne une version instrumentale du dit-album un mois après la sortie de la version originale. Bien pensé ! Je dois admettre qu’il m’arrive d’alterner les versions dans ma « playlist », histoire de me concentrer sur l’instrumentation par moment. Or, les parties vocales sont pour moi essentielles, car ce sont elles qui dégagent le plus de noirceur, le plus d’âme. Cela est affaire de préférences, point à la ligne.

L’avenir semble incertain pour la formation ukraino-canadienne. Difficile de dire quelle direction prend le groupe. Si celui-ci s’évanouit dans le brouillard, il y aura au moins un fan pour s’endeuiller : moi. Et puis, si j’avais à replonger dans le metal et à réaliser mes vieux projets musicaux avec une nouvelle optique, c’est cette avenue que j’emprunterais. Il ne s’agit pas d’un genre de musique que l’on fait pour se faire aimer du grand public, oh que non ! Mais ceux qui vous suivront diront à coup sûr : « ça, ça ne ressemble à rien d’autre, et c’est ça qui me plait, car c’est vrai et authentique ! ». À vous de voir à présent si j’exagère. Et puis, note au passage : si quelqu’un parmi vous connaissez une musique dans le même genre, faites-moi signe. Je vous ai forcément fait découvrir plein de trucs jusqu’à maintenant. Rendez-moi l’ascenseur cher ami (es), car j’aimerai bien mettre la main sur un disque dans le même genre… Bonne écoute !

Dany Larrivée

https://terramourn.bandcamp.com/album/you-made-me-realize

 

Chronique parue simultanément chez Clair & Obscur (France) et Daily-Rock (Québec)