Groupe: TesseracT
Album: Polaris
Date de sortie: 18 septembre 2015
Label: K-Scope
TesseracT, ça vous dit quelque chose? Pour vous, le «djent» c’est un mot à formuler au Scrabble lorsqu’il ne vous reste qu’un «e» et quelques consonnes à placer sur la planche de jeu? Qu’à cela ne tienne, il n’est pas trop tard pour jeter la lumière sur cette formation encore quelque peu obscure. TesseracT, c’est d’abord un projet expérimental où l’émotion brute et le potentiel musical sont poussés à leur extrême limite, c’est un projet marginal dans l’univers tout aussi marginal du «djent», ce sous-genre émergeant du métal progressif. Formé en 2003 par le guitariste Acle Khaney, en tant que projet solo, TesseracT n’est alors qu’un projet balbutiant n’ayant pas encore la direction qu’on lui connait. C’est que le djent n’en est alors qu’à ses débuts. Représenté par Meshuggah, puis plus tard par Fellsilent, Monuments et Periphery, le genre est encore très discret jusqu’au début de la décennie où le style fait un nombre effarant d’adeptes à travers le monde (d’ailleurs, en parcourant les sites de musique indépendante, on constate que le djent est à la portée des musiciens indépendants qui généralement enregistrent leur matériel à l’aide de logiciels, et ce, à la maison, sans l’intervention d’un label). Ses principales caractéristiques: le «palm-mute» et la cassure de temps à la guitare (le «break beat»), l’usage obstiné et récurrent de la corde de ré à vide sur une guitare à 7 ou 8 cordes, l’alternance de voix «clean» et du «growl», en font une musique qui peut parfois donner une impression de répétition, voire de redondance. Du moins, c’est ce que l’on peut dire de certaines formations djent peu expérimentées. TesseracT, pour sa part, évite cet écueil avec brio. Il est même ardu de déceler un passage semblable au précédent. En fait, TesseracT évite littéralement les combinaisons classiques et prévisibles. Dans cette optique, on serait même tenter de classer cette musique dans un créneau plus expérimental; celui du métal progressif. Et là encore, la classification ne tient pas tout à fait la route, puisque certains morceaux du groupe sont trop ambiants ou trop émotifs pour être simplement cantonnés à ce style. Enfin, disons seulement que TesseracT, c’est TesseracT, tout comme Animals as Leaders ne peut être associé de façon rigide et définitive au courant djent (on pourrait davantage l’associer au jazz métal ou à l’avant-garde progressive).
Jusqu’ici, la formation britannique nous avait habituées à une musique profonde et très sentie, une musique audacieuse de par sa composition, une musique complexe et difficilement accessible pour l’oreille a priori charmée par la pop, le rock ou le métal radiophoniques. On se souviendra de l’album One (2011) et de l’ère Thompkins avec ces quelques «growls» disséminés ça et là, de ces airs de guitare effectivement djent où un certain motif était apparent, de cette époque encore un peu adolescente par rapport à son développement musical (il faut dire que cette période correspond à l’essor du genre et que, de fait, TesseracT cherche aussi sa voie).
Album plus abouti, plus authentique, plus «griffé», le LP Altered States (2012) gagne à faire partie de la collection des mélomanes les plus avertis. Truffé d’airs vocaux uniquement «clean» (le départ de Daniel Thompkins au chant et la venue des chanteurs Eliot Coleman et Ashe O’Hara signent désormais l’arrêt du «growl» dans la musique du groupe), l’album est un chef-d’œuvre de nuances, de transitions imprévisibles et d’explorations compositionnelles. Les lignes de basse d’Amos Williams, comportant du «slapping » et de la distorsion à certains endroits, pavent la voie à des guitares éthérées et presque ésotériques, consolidant les thèmes de ses paroles, c’est-à-dire ceux de l’introspection, de la place de l’homme dans l’univers, de même que le sentiment de perte. Quant aux partitions de la batterie de Jay Postones, elles arrivent à faire rougir les Virgil Donati et autres batteurs du milieu jazz et progressif.
Jusqu’à maintenant, le groupe semblait miser sur l’intelligence de son propos, sur l’éclatement de la structure musicale et sur la progression d’un air principal pouvant subtilement évoluer pour devenir un air totalement différent. Cette opération délicate, aussi efficace qu’intéressante, était une marque de commerce, un sceau d’authenticité. Mais voilà que les choses se gâtent. Désir d’élargir son bassin d’auditeurs, volonté de rejoindre les charts, besoin d’explorer d’autres avenues? Difficile à dire. Faudrait demander. Pour ma part, j’attendais fermement la venue du nouvel album. J’étais aussi enthousiaste que devant un nouveau Tool ou un nouveau System of a Down. Bref, je me sentais comme un enfant qui s’enthousiaste au prochain Noël, alors que la Saint-Valentin vient à peine d’être célébrée. Mon attente n’a su être pleinement récompensée. Le 18 septembre dernier, est sortie cette galette un peu insipide intitulée Polaris. L’ensemble, un peu trop pop, un peu trop facile à mes yeux, n’a pas su me gagner. J’essaie néanmoins depuis une semaine de me faire à l’idée que cet album se veut différent des deux LP précédents, que TesseracT a pris une direction un peu «emo-djent», si je puis dire. En fait, il me semble que plusieurs formations actuelles tendent vers cette sonorité et cette linéarité caractéristiques de la musique populairement digeste. Est-ce que le métal progressif se meurt? Possible qu’il soit du moins compromis, et ce, autant par les puristes que par les consommateurs de musique plus accessible et commerciale.
Polaris a ce je-ne-sais-quoi qui m’agace. En fait, il serait possible pour moi d’apprécier cet album si j’ignorais qu’il était écrit par le TesseracT que j’ai connu ces dernières années. Un peu comme pour le St. Anger de Metallica, j’ai de la difficulté à savourer mon écoute parce que je n’arrive pas à démordre du glorieux passé du groupe. J’ai cette même impression avec l’album Odyssey de Voice from the Fuselage, avec l’album Guiding Lights de Skyharbor et The World We Used to Know de Shattered Skies où je ne retiens que la perte de mordant, que le polissage abusif des pièces et l’aspect racoleur et «radio-friendly» de ces albums. TesseracT, qui a priori évitait la formule classique et figée du «couplet-refrain-couplet», s’en remet par moments à elle. N’est-ce là qu’un passage? Je l’espère de tout mon cœur. Est-ce une stratégie de marketing? Mon Dieu, nooooooon, dites-moi que ce n’est pas ça!
Malgré l’aspect outrancièrement commercial de certains morceaux, je dois cependant admettre que le premier simple Survival me trotte à la tête depuis plusieurs jours. La recette est gagnante: chanson courte, air enlevant, très peu d’ornementation. Je me prends même à scander «Will I disappear, with the memory of the sorrow…» en marchant ou en prenant le bus depuis la sortie de l’extrait. Visiblement, s’il s’agit d’une stratégie de marché, le coup est réussi (je ne mords généralement pas à ce type d’hameçon).
Outre cette appréciation plutôt négative de l’ensemble, force m’est d’admettre qu’il n’y a pas que du mauvais dans cet album. Certes l’aspect groovy et funk de Dystopia me laisse d’une incroyable froideur et les dernières pièces plus ambiantes de l’album provoquent chez moi quelques bâillements (pourtant, j’adore le post-rock!). Je suis même tenté à chaque fois de passer au morceau suivant tant le premier titre n’arrive pas à me rejoindre. Or, par moments, j’ai l’impression de retrouver le quintet d’autrefois. C’est ce que je ressens à tout le moins avec Hexes, Utopia et Messenger, trois morceaux dignes d’être associés avec le nom TesseracT (les fans de la première heure seront sûrement d’accord avec moi).
Peut-être que ce nouveau cru devra prendre un peu de maturité avant d’être apprécié à sa juste valeur. Peut-être aussi que cette année ne sera pas une grande année pour la formation. Il faut aussi admettre qu’on ne peut pas faire que de bons coups. Au final, souhaitons avec ferveur et conviction que le son et l’atmosphère d’Altered States refassent surface dans les années à venir. Après tout, la carrière de TesseracT est encore jeune. Tout n’est pas perdu, tout est à espérer, surtout lorsqu’on a un si grand potentiel.
Même si nous avons abandonné le système de notation depuis quelque temps, il me semble néanmoins nécessaire d’illustrer mon appréciation par rapport à cet album, c’est-à-dire un maigre 6/10. Cela dit tout.
Dany Larrivée
28 septembre 2015
Chronique parue simultanément chez Clair & Obscur (France) et Daily Rock (Québec).