Groupe: Whisky Legs

Album: Basement Confessions

Sortie: 2016

J’aime vous surprendre. Et cette fois-ci, la surprise sera de taille, puisque j’ai publié coup sur coup près d’une dizaine de papiers à tendance metal extrême ces derniers temps. Là, mes gaillards, vous allez tomber à la renverse, car ce dont je vais vous parler est bien loin du fracas plein de basse, de distorsion et de la lourde batterie à laquelle je vous ai habitué. Il faut faire preuve d’ouverture, mes mignons; d’ouverture et de polyvalence.

L’album dont je vais vous entretenir de ce pas en est un de folk nord-américain, dans la plus pure tradition. Enfin, le son folk de Whisky Legs est un folk très américain, mais il ne se contente pas de faire dans les standards du genre. A priori, certains morceaux de ce premier disque donne une impression de voyager dans les petits bars à demi-vides du sud des États-Unis. On a que peu d’effort mental à faire pour s’imaginer les bruits de bouteilles vides s’entrechoquant l’une et l’autre alors que la barmaid de l’établissement ramasse tous ces artéfacts post-consommation qui traînent ça et là sur des tables imbibées de bière et de cendre de cigarette (je crois que les États-Unis n’ont pas encore interdit le tabac dans les bars, mais corrigez-moi si je me trompe). Ça sent l’éclairage tamisé, la petite scène perdue au centre de ces amas de tables dépareillées au vernis partiellement terni et écaillé par endroit. Ça sent la musique de Lera Lynn, sans l’envie du couteau dans les poignets et la lame de rasoir sur les veines (vous savez, la chanteuse folk qui apparait dans la saison 2 de l’excellent néo-noir «True Detective»?).

Et pourtant, on est en plein Québec, dans cette province plutôt nordique et multiculturelle à l’extrémité francophone du Canada, le dernier bastion de la langue latine s’il en est. Dirigée au chant par la sublime et sensuelle Maude Brochu, la formation québécoise en est à son premier album. Comment frapper plus fort, comment frapper plus juste, dites-moi donc! Des riffs dignes des films d’auteur couronnés à Cannes, des lignes de guitares clean et pleines de reverb à faire s’élever l’âme la plus lourde, une ambiance à donner le goût d’éteindre les lumières et de se consacrer tout entier à son ouïe pour mieux saisir tout ce que la formation offre en sonorité, en délicatesse et en profondeur.

Les guitares de Guillaume Méthot donnent l’envie de s’acheter un amplificateur à lampe, une vieille Fender Stratocaster et de s’étendre sur un lit pour laisser aller sa propre inspiration, en transe entre réalité et onirisme, entre matérialité et absence de ce monde. Et la voix de Maude, à la fois angélique, séductrice et affublée du grain des voix d’expérience telles que Nina Simone, Janis Joplin et Beth Gibbons (Portishead), on ne saurait s’en passer, pour autant que l’on ait du goût, de l’oreille et de l’âme. Car sans âme, impossible d’apprécier cet indescriptible cadeau des dieux!

D’entrée de jeu, la formation Whisky Legs nous convie à une chanson mélancolique et torturée qui siérait volontiers à un générique de film, un drame en noir & blanc. Moment fort et à-propos qui donne le ton sentimentaliste au reste du disque (bien que ce dernier n’en reste pas forcément là). Car après «Basement Confession», on se voit tout de suite plongé dans une ballade soul plus «upbeat» où la basse et le wa-wa, la batterie funk et les airs vocaux plus joyeux redonnent momentanément le moral (il s’agit de ce genre de chanson qui passerait très bien à la radio, bien qu’elle passerait moins bien dans ma chaîne stéréo, mais ça, c’est une question de goût et d’inclination). «You Are», est en ce sens le moment pop de cette galette. Cela me parle moins, puisque je préfère le drame humain, l’urgence du moment, l’intériorité extirpée des fors intérieurs pour terminer en poésie noire ou en musique sombre. À ce titre, la chanson «Scarlet» me convient mieux. C’est d’ailleurs cette chanson qui m’a fait visiter la page Bandcamp de la formation. Assis dans un fauteuil dans la salle de pause de mon travail, j’ouvre la télé, sans grande attente, espérant trouver quelque chose de pas trop nauséeux à regarder avant de retourner au boulot. Et, miracle des miracles, le poste de télé donne par défaut au canal de télé communautaire… Avant que mon instinct de préservation ne guide ma main vers le bouton pour changer de chaîne, il est survenu quelque chose de grand: j’entends les premières notes aériennes des premières mesures, enveloppées dans un brouillard doux et parfumé, entre en scène la voix de la belle Maude. Et voilà, je me rassois, laissant le bouton du téléviseur en paix, profitant de l’instant magique…

C’était sur MaTV, une chaîne locale et indépendante où l’on voit parfois quelques talents du coin. Mais pourquoi diable n’avais-je pas entendu parler de ce groupe? On nous cache de bien bonnes choses, surtout ce genre de chansons, ce genre de refrain, ce genre de prose sonore dont l’empreinte sensitive ne se déloge plus de notre fibre émotionnelle. Depuis cette découverte, j’ai cette sensation fantôme, ce manque de musique sentie, éprouvée et éprouvante, lourde comme le malheur, mais légère comme la libération. Et puis, si le cœur est plus à la fête qu’à la rencontre chez le psychologue ou le petit pub oublié où l’on cuve tranquillement son verre de scotch dans l’espoir de vivre de l’inattendu, plusieurs autres morceaux de l’album ont ce pouvoir revivifiant, exaltant de la soul et du R & B, telles que.

Pour ma part, des airs plus folks et plus blues de l’album me conviennent davantage. «This Thing» et «Too Close To The Sun», deux ballades plus southern folk dans la trempe des Civil Wars, m’interpellent profondément. Il en va de même pour le tube «So Far Away», un morceau d’une rare transparence où se livre le plus enfoui des sentiments, la plus imperceptible vibration chez Maude, notre magnifique vamp nationale. Et que dire du bluegrass issu du Bayou, du folk New Orléans de la chanson «Carry On», sinon qu’elle me donne envie de monter sur scène et d’assurer à l’improviste les back vocals aux côtés de notre épatante chanteuse…

Et si tout cela ne vous parle pas, primo demandez-vous si vous avez encore tous vos organes, car il vous en manque peut-être un ou deux. En tout cas, votre cœur s’est fait la malle, c’est certain! Et si cette musique vous semble trop douce et que vous sentez le besoin de ressentir plus d’énergie, il existe également quelque chose du genre dans tout Basement Confessions: la chanson «Needy Woman». D’un rock modéré, les musiciens de Whisky Legs démontrent qu’il sont plus d’une corde à leur arc et plus d’une corde à leur instrument…

Sur ces mots inspirés par une musique inspirante, je vous laisse sur cet extrait que, bien franchement, je vous recommande d’écouter. Laissez faire mon papier, laissez parler la musique. Le texte, lui, n’y sera pour rien si vous tombez en amour ou pas avec cette formation. En revanche, la voix de Maude Brochu et la guitare de Guillaume Méthot n’auront pas à vous séduire bien longtemps avant de vous gagner. Allez, cessez de lire et cliquez:

Dann

18 mars 2016.

Chronique parue simultanément chez Clair & Obscur (France) et Daily-Rock (Québec)