À première vue, ça semble paradoxal de boire de grandes quantités d’alcool pour se souvenir. Se souvenir de 69 même si personne d’entre nous n’y était. Se souvenir d’une époque révolue où les filles portaient des fleurs dans les cheveux. Se souvenir aussi qu’il n’y a pas si longtemps, il se faisait encore pas mal de musique avec de vrais instruments. Boire une Sleeman à la mémoire de Jimi et Janis sur une terre de Beauce avec des milliers de francophones venus de partout en province pour s’unir sous une idée; l’emblème sociopolitique qu’est le Peace and Love

Peace and Love, formule galvaudée, utilisée à toute sauce, mais aussi parfois sous-estimée. Et malgré les mots anglophones qui la composent, elle frappe au cœur comme une expression bien de chez nous. Elle nous définit, nous réunis, nous unis. Nous rajeunis pour certains. Nous endurcis pour d’autres. Mais une chose sûre, c’est qu’elle nous fait nous aimer.

La bannière Woodstock en Beauce ne date pas d’hier. C’est légendaire et épique. Une tradition pour n’importe qui ayant un tant soit peu l’âme hippie. Woodstock a subi maints changements en vingt ans et les dernières années ont été particulièrement difficiles pour l’organisation. Plusieurs formules différentes ont été tentées; deux scènes, des groupes de la relève, six jours consécutifs, des raves… À une certaine époque, le lieu a été investi par une clientèle différente davantage portée sur la musique électronique et les drogues chimiques. Ce n’était plus pareil, ça avait perdu toute sa splendeur et ses références à l’idéologie du Woodstock original. On a un peu tout essayé en Beauce, jusqu’à avoir vraiment peur de perdre les rênes pour de bon.

Nous avons droit cette année à une édition beaucoup plus modeste que ce que les habitués ont connu. Sans grande tête d’affiche — comme les Rise Against, Pennywise, Violent Femmes, ou les fameuses années alternatives avec Tea Party, Our Lady Peace, Finger Eleven et Three Doors Down —. Cette année, Randy Bachman (BTO/Guess Who) fait figure de tête d’affiche, mais en réalité, c’est le spectacle de Charlebois que les gens sont venus voir. Un spectacle de classiques québécois de plus d’une heure trente devant une foule enjouée et en harmonie. Les musiciens qui accompagnent le gars ben ordinaire sont tout à fait exceptionnels et malgré le froid et la boue, Charlebois a livré une leçon de rock digne de son statut de légende vivante.

Mais il faut aussi être honnête, la programmation n’offre aucun autre réel coup d’éclat. Mais est-ce nécessaire? Quand même un peu oui. On présente au Woodstock la crème des groupes de festival du Québec. Le problème est justement que ces groupes sont de la programmation de tous les autres festivals. On a joué safe; des groupes hommages, une légende canadienne, une légende québécoise, et les groupes locaux que tout le monde connaît et ont vu des dizaines de fois…. et pis alors?!? On ne se tannera jamais de Grim Skunk, Mononc’Serge, Adamus, Galaxie et du groupe par excellente de tous festivals; Les Cowboys Fringants.

Une foule encore une fois assez modeste s’était déplacée pour entendre le groupe de Repentigny qui avait la tâche de raviver les esprits après la pluie qui s’était abattue sur le spectacle d’Adamus. Une performance plus que moyenne, comme toujours pour les Cowboys. Malgré leurs vingt ans de carrière, ça semble toujours très difficile de garder le tempo ou de chanter juste. Et pis alors?!? C’était magique. Impossible de rester insensible devant tant de bonheur humain. Des milliers de couples qui s’embrassent sous une pluie «d’étoiles filantes». Les gens se réchauffent, se collent, se touchent. Dansent et chantent.

Les gens se sourient à Woodstock en Beauce. Peut-on ici prendre quelques secondes pour bien cerner la situation et comprendre l’enjeu qui nous concerne. Se sourire. Comme une expérience mystique partagée entre frères et sœurs. Se sourire. N’est-ce pas déjà tout un accomplissement? Ne serait-ce pas suffisant pour légitimer la présence de ce festival? L’âme du Québec a été pour un moment réuni sous une pluie fine. Et il a souri. Et elle a souri en retour. Et elle était belle. Et il était beau. Et voilà, c’est ça Woodstock. Se souvenir «qu’entre deux joints» «all you need is love».

Évidemment, malgré la pluie de bonheur, la question est sur toutes les lèvres tel un éléphant rose dans une toilette chimique; Le Rockfest a-t-il tué Woodstock? Ici, en Beauce, ce qu’on entend c’est;

  • Le Rockfest c’est trop gros.
  • Il y a trop de groupes au Rockfest.
  • Au Rockfest, tu paies pour des groupes que tu ne pourras pas voir parce que tu attends en ligne
  • Il devrait y avoir moins de groupes au Rockfest pour que le billet soit moins cher.

Alors, est-ce que le Rockfest a tué Woodstock? Peut-être. Mais la tendance ne serait peut-être pas totalement irréversible.

Ce fut une autre très belle édition de Woodstock en Beauce, une édition sans failles avec juste assez de bouette, juste assez de monde, juste assez de bons groupes. L’installation du site a été pensée de manière extrêmement efficace. Et malgré la programmation sans grande surprise, plusieurs milliers de braves qui n’étaient pas en déménagement sont venus célébrer, le temps d’un weekend, la nostalgie non pas du Woodstock original, mais la mémoire de leur festival préféré; le Woodstock en Beauce.

Les gens sont venus. Les gens se sont aimés. Les lumières ont finies par s’éteindre, et les gens s’en sont retournés en se souhaitant tous et toutes, à l’année prochaine… Peace and Love.

Texte: David Atman