Groupe: Appollonia
Album: Dull Parade
Date de sortie: 20 octobre 2014
Label: auto-production
Genre: hard rock, stoner rock, grunge
Ah, quel plaisir d’entendre quelque chose de vrai et d’authentique, une musique avec du caractère et du relief! Vous n’avez pas remarqué à quel point la musique post-2000 est constamment léchée, polie, rognée? Moi, si. J’en veux même à l’industrie et au goût du public depuis plus de 15 ans. Rien ne dépasse, tout goûte un peu le styromousse, tout sent un peu l’air stérile et l’aseptisation; le grain de la musique est totalement écrasé, ne laissant pour toute texture qu’une surface sonore sans personnalité, sans patine. Cela semble convenir à l’oreille moyenne, puisque le procédé perdure. Mais que reste-t-il de cette impression humaine derrière les transistors, derrière la console et les logiciels? Pas grand-chose (surtout si on ajoute à tout cela une bonne dose d’auto-tune).
Ces dernières années, je suis parti en croisade contre le marché de la musique. Mon honorable collection de disques, qui faisait alors plus d’un millier d’albums, n’a plus évolué depuis près de 5 ans. J’ai tout bonnement cessé d’acheter en magasin. Je me suis converti à la musique numérique, celle que l’on cherche parce qu’on la désire ardemment (quand ce n’est pas elle qui nous trouve). S’en est suivi une avalanche de découvertes les plus improbables. Cette collection de disques, qui avait pris près de 20 ans à amasser, a depuis doublé. Et comment cela se fait-il, me direz-vous? Et bien, parce que le matériel des musiciens indépendants se retrouve rarement sur les étalages de «music store» alors qu’elle foisonne sur les sites d’achat de musique en ligne et les sites de «streaming»; voilà pourquoi! Pour découvrir des musiques plus singulières, plus spécifiques, plus hors norme, il devient alors essentiel de fouiller le web. Et ce dit web, il en renferme des trésors!
Cette semaine, un groupe de Bordeaux s’est adressé à Clair & Obscur pour soumettre son dernier album à notre équipe de critiques. Il n’a suffi que de quelques minutes d’écoute pour que je m’écrie rapidement: «parfait, je le prends… ça me botte totalement!» Une musique venait ainsi de me trouver! J’ignore si ma nostalgie d’adolescent s’est exprimée ou si l’adulte que je suis s’est tout simplement dit: «oh oui, un son comme ça, moi ça me parle!». C’est peut-être un peu des deux. Quoi qu’il en soit, j’ai reçu il y a quelques jours une version numérique de Dull Parade, le dernier album du groupe français Appollonia. Je dévore actuellement l’album des oreilles, presque sans mâcher! Le son résolument grunge de la formation bordelaise a de quoi séduire les fans de l’ancienne scène musicale de Seattle dont je suis. Certaines chansons, telles que Strange Blooms, Welsh Rarebit et To Study Lips ont d’ailleurs un air qui rappelle Sonic Youth et Mudhoney, deux icônes de l’époque Cobain. En tout cas, on ne peut ignorer cette sonorité fortement inspirée de la célèbre vague alternative des années 1990. Et le son, le son… On y retrouve des textures immanquablement râpeuses, une charmante crasse, de l’usure et des éraflures à souhait. La distorsion des guitares, l’imperfection contrôlée du chant, la batterie fracassante (quoique très juste), donne à l’ensemble une impression de concert dans un petit bar enfumé où s’agglutinent quelques bandes d’ados aux cheveux longs et sales, vêtus de chemises à carreaux délavées et de blue-jeans troués. Et c’est alors que l’on se rend compte que ces ados sont nos fantômes, que nous nous imaginons retrouver cet esprit révolutionnaire et rebelle l’espace d’un instant.
Le contexte de production de ce quatrième album est fort probablement responsable de cet état d’esprit. Le trio français, qui roule sa bosse depuis maintenant 10 ans, possède une énergie remarquable. Et c’est d’ailleurs avec une détermination hors du commun qu’il nous livre cet album réalisé malgré les diverses embûches. Nécessitant plus de 8 mois d’enregistrement dans leurs maisons respectives à Bordeaux (alors que le chanteur et guitariste Vincent Méry a dû déménager à 200 km de là pour y travailler), Dull Parade n’a pas été complété sans difficulté. En effet, le leader de la formation affirme que c’est dans ces conditions de constants voyages, sans le sou, que l’album a vu le jour avec l’aide de Fabien Devaux (enregistrement de la batterie) et de Julian Silva (mastérisation), ainsi que l’habituelle collaboration de Franck Hueso pour le mixage. Partant d’une petite console digitale à 8 pistes pour enregistrer leur matériel en début de carrière, on s’étonne un peu moins de la modestie des moyens pour arriver au produit final que l’on connaît. C’est d’ailleurs ce qui donne à la musique d’Appollonia cette saveur unique et honnête, cette signature intègre et agréablement garage (jusqu’à un certain point).
Pour ceux qui n’aiment pas les styles grunge, le stoner ou le hard rock, il est possible que vous n’appréciiez pas à sa juste valeur ce joyau du genre, surtout si vous êtes nés après les «nineties». Tout cela est bien dommage. Or, pour les fans de «indie rock», l’expérience sonore que propose Appollonia pourrait vous charmer et vous rejoindre. Et puis, pour les autres qui carburent davantage au stoner-progressif, je vous conseille de vous initier à l’album avec la chanson Everest, une pièce qui risque de vous plaire. Dans le créneau gentiment barbare de Mastodon et dans un esprit voisin du vieux Black Sabbath, la pièce est susceptible de rejoindre un large bassin de mélomanes. Il en va de même pour la chanson Of Stillness and Space et de la majeure partie de Crimson Shades, l’album antérieur de la formation. Écouter les deux albums en rafale permet d’ailleurs d’entrer dans l’esprit grunge et contestataire dont j’ai fait mention plus haut. Je le conseille fortement.
À ce point, on peut aisément affirmer qu’un peu tout le monde peut trouver son compte dans la musique de la formation française. Disons qu’ils n’ont pas dit leur dernier mot et qu’il n’est pas impossible que la scène lui démontre une reconnaissance significative. En espérant très fort qu’un jour la musique indépendante triomphe de la musique commerciale, que la vérité et l’authenticité triomphent de l’artifice. Si un jour cela se réalise, la formation pourra crier: «Musica omnia vincit!». Et je crierai avec eux…
Dany Larrivée
7 octobre 2015.
Chronique parue simultanément chez Clair & Obscur (France) et Daily Rock (Québec).