Artiste : Between the Buried and Me
Album : Coma Ecliptic
Sortie : 10 juillet 2015
Label : Metal Blade Records
C’est dans l’air du temps. Comme si un conseil extraordinaire avait eu lieu au sommet de la zone Prog internationale. Comme The Contortionist l’an dernier, Between the buried and me vient de prendre un nouveau tournant. Terminé le métal progressif saturé presque exclusivement de growl et de guitares grondantes. Ce groupe a misé gros. Les fans de longue date ne suivront peut-être pas ce changement drastique, qu’à cela ne tienne. Les mélodies, autant vocales qu’instrumentales, du nouvel album Coma ecliptic sont tout à fait différentes de celles que l’on identifie généralement à la formation américaine. D’autres, comme moi, s’en réjouiront. Qui suivra la troupe sur cette nouvelle voie? Difficile de le dire, mais qui parmi les fans sera indulgent et ouvert d’esprit se risquera de donner une chance à cette nouvelle et prometteuse direction.
Depuis quelques années, force nous est de constater qu’une heureuse tendance à faire de la musique pour soi s’installe et que de se foutre du branding, de l’establishment inébranlable de l’industrie musicale, des charts et des insignifiants prix Grammy’s devient le choix logique dans un domaine si compétitif où rares sont ceux qui percent à moins de donner dans la pop. Grand bien fasse au talent de nos mélomanes praticiens et à leur intégrité! Vivement de la musique pour ceux qui aiment vraiment la musique et pas seulement un son tribal composé de deux ou trois notes de basses répétées jusqu’à plus soif sur fond de fracas techno abrutissant que l’on prétend à tort être de la musique (comme l’aurait dit le peintre surréaliste Magritte s’il était critique culturel aujourd’hui : ‘ceci n’est pas de la musique!’). Between the buried and me, qui nous a habitué à son métal progressif gargantuesque et titanesque (ou tout autre épithète comprenant du colossal ou du géant), nous amène dans son esprit le plus intime et le plus insoupçonné. J’aime être surpris, j’aime qu’on m’apporte un objet imparfait et patiné qui a de la gueule alors qu’on me promettait un bijou trop scintillant et trop stérile pour lequel je n’ai pas de réel sentiment. Coma ecliptic, c’est un peu mon antiquité inattendue, cette fascinante relique provenant d’une bataille historique ou d’un monument disparu qui vaut mille parures en or. Cet album a une profondeur et une ambiance uniques. Par moment, j’aurais pu me laisser berner et croire que j’écoutais une section de l’album Language, le petit dernier de la formation américaine The Contortionist. Mais, comme je connais trop bien cet album au point d’en avoir presque usé le disque compact, je ne suis pas tombé dans le piège. Riez si vous le voulez, mais qui ne connait l’époustouflant sextuor d’Indianapolis qu’en superficie aurait pu se méprendre.
Comme eux, BTBAM a pris une tangente plus nuancée, plus éthérée, plus poétique, plus universelle et plus ‘prog old school’. Hasard, ou goût du risque? Je miserais sur la seconde option, car il est plus facile de foncer lorsque quelqu’un a déjà tenté le coup avec succès que d’être le premier à se lancer dans pareille aventure en pionnier. Contre toutes attentes, The Contortionist s’est attiré la faveur de la critique et a acquis de nouveau fans. Leur décision de délaisser le gros chant métal typique au profit d’harmonies vocales plus variées et plus modulées, leur a rapporté une notoriété sans précédent (la page Facebook du groupe compte actuellement plus de 123 000 membres, ce qui n’est pas rien pour un groupe de la relève!). Comme TesseracT, Animals as Leaders, Disperse, Corelia, Opeth, The Contortionist et d’autres groupes du genre, BTBAM semble s’être dit : « Au diable le marché! On fait du prog les gars, on ne sera jamais riches et célèbres. On ne fait pas de la pop! Pourquoi alors ne pas faire une musique qui nous plait et qui pourrait tout autant plaire à de nouveaux fans? Il doit bien y avoir un public intelligent capable d’ingérer des chansons non-linéaires, saturées de notes et qui comprennent d’autres mots que ‘love’ ou ‘baby’. Tant pis, on se lance. Qu’est-ce qu’on a à perdre? ».
Je ne suis pas prophète ni cartomancien, mais je prédis à la formation une nomination imminente pour l’album de l’année dans la catégorie métal progressif pour l’année 2015. Il ne peut en être autrement. La composition de chaque morceau est méticuleusement calculée, même dans ce qui peut paraître chaotique de visu. Tout y est orchestré de main de maître. Les guitares de Waring et Waggoner, dominantes quand il le faut et discrètes lorsque les claviers exigent leur place, sont d’une intelligence mozartienne (en espérant que la formation américaine ne connaisse pas le même sort que le compositeur autrichien et qu’on leur reproche comme lui que leurs morceaux comportent beaucoup trop de notes pour être appréciés de leurs contemporains!). La batterie et la basse, aux rythmes saccadés et aux mesures malmenées, dirigent l’orchestration de l’ensemble avec brio. La voix de Tommy Giles Rogers, qui accompagne un clavier délicat, vaporeux et quasi-céleste, nous emporte dans le monde onirique et intime d’un esprit prisonnier de ses limbes (l’ensemble de l’album repose d’ailleurs sur ce concept). Avec une délicatesse et une finesse qu’on lui connaît rarement, le chant de Rogers nous rappelle celui de Ross Jennings du groupe Haken (la chanson The coma machine comporte d’ailleurs une couleur et une tonalité rappelant The Mountain, le dernier album du groupe londonien). Abandonnant le chant guttural auquel il nous a habitué avec le diptyque Parallax I : Hypersleep et Parallax II : Future Sequence, Rogers s’adonne maintenant à un chant feutré et coloré qui rapproche le métal progressif du groupe à un rock progressif à l’ancienne. En des termes simples et courts, Coma Ecliptic fait office de pont entre les univers a priori différents de ces deux genres. On pourrait presque dire que cet album est le chaînon manquant de cette généalogie musicale.
En bref, j’appose mon sceau d’approbation sur cet album riche en sonorités, un ‘album-répertoire’ qui fera date dans les annales du progressif tout acabit. Comme le diraient Siskel & Ebert devant un film d’exception : two thumbs up!
Note : 9.5/10.
N.B. : pour les incorruptibles fans de The Contortionist, Haken, Disperse et TesseracT.
Dany Larrivée
Québec
11 juillet 2015.