Artiste: Dave Kerzner

Album: New World

Date de sortie: 9 décembre 2014 (version standard); 31 janvier 2015 (version deluxe)

Label: RecPlay inc.

Dave Kerner. Vous ne connaissez pas? Moi non plus. J’ignorais jusqu’à maintenant qui était ce musicien fraîchement débarqué sur la scène progressive. Quelle ne fut pas ma surprise de me rendre compte de ma propre ignorance. Qui, parmi Steve Hackett de Genesis, Nick D’Virgilio de Spock’s Beard ou Billy Sherwood de Yes, oserait se joindre à un pur inconnu? Aucun d’entre eux (je suppose). Eh bien, ma surprise fut totale. Kerner n’est pas un simple quidam de la scène; tout au contraire! Il s’agit bien d’un premier album solo, tout frais sorti des presses en décembre 2014. Cependant, notre musicien au nom peu connu n’en est pourtant pas à ses premières notes. Il a même tout un curriculum! Membre fondateur du groupe rock progressif Sound of Contact (Dimensionaut, 2013) et de Mantra Vega (The Illusion Reckoning, prévu pour l’automne 2015) aux côtés de Heather Findlay et David Kilminster, il est tout aussi le producteur, ingénieur de son et/ou conseiller à la sonorisation derrière de grosses productions, dont celles de Smashing Pumpkins, de Steven Wilson, de Tom Waits et d’Alan Parsons (pour ne citer que ceux-là). Et dire que je croyais chroniquer un artiste émergeant! Le néophyte, c’était moi tout ce temps. Quel imposteur ai-je été pendant un instant.

Surpris par ma propre ignorance, une autre surprise m’attendait: l’album de Kerzner en tant que tel. Quel cadeau du ciel! Avec la sortie des derniers albums d’Anubis (Hitchhiking to Byzantium, mai 2014) et d’Anekdoten (Until all the ghosts are gone, avril 2015), je croyais avoir entendu tout ce qui pouvait se faire de bon dans le progressif néo-old school pour 2014 et 2015 (oui, je sais, ce néologisme est antithétique et ma certitude est totalement faussée). Quelle était encore mon erreur! Les premières mesures de la première piste intitulée Stranded, annonçaient un album dominé par la basse et les claviers (j’ai même cru un moment entendre la chanson Red City du groupe américain Stone Sour pendant quatre ou cinq mesures, jusqu’à ce que je me ravise). D’emblée, cette pièce d’introduction me plongeait dans un monde éthéré déjà connu des formations citées plus tôt. Il serait même malhonnête de ne pas faire le rapprochement entre l’opus de Kerzner et la bande de Gilmour et Waters dans un créneau similaire à celui de l’album Final Cut (mon préféré de Pink Floyd). Oui, il est vrai que Kerzner n’a pas réinventé le genre ici. Il est aussi vrai que l’album est «tellement 1983» dans sa structure caractéristique de la vieille école alors que New World possède un son pourtant très actuel avec ses basses fréquences pachydermales et ses guitares lissées au maximum. Toutefois, l’esprit général de ce disque fait inévitablement écho à l’âge d’or du progressif et du «classic rock» britannique et américain. Qui pourrait s’en plaindre? Personne. Pas même Kerzner lui-même (le musicien est un fan de Genesis et de Pink Floyd en tant que tels et nous le sommes nous aussi).

La musique de Kerzner ne peut d’ailleurs pas nier sa génétique. Dans New World, on peut cerner par endroits le même chuintement classique du MOOG (un séquenceur/boîte à bruits de la première génération) et le filtre nébuleux typique de la belle époque. Certains puristes s’écrieront: «assez, Pink Floyd est unique et rien ne ressemble à Pink Floyd, cesse de comparer les pommes et les oranges!». D’autres s’emporteront et me diront que la musique de Kerzner n’est pas qu’un pastiche et qu’il a lui aussi sa touche, sa griffe. À ces derniers, j’admets ma généralité. Krezner a une voix bien à lui, très suave, douce comme le miel et presque onirique. On dirait qu’un ange nous parle à travers des transistors. Puis, les guitares de ses collaborateurs Fernando Perdomo, de Steve Hackett et de Russ Parrish tissent cette étoffe très opéra rock, avec une mélancolie vaporeuse et une fréquence quasi aérienne. À ce titre, certaines notes de guitare pincées à la façon d’une harpe glissent comme une douce pluie d’été, tombant une à une pour créer un rideau de gouttelettes qui meurent progressivement sous forme de rosée. New World, en ce sens, est une œuvre poétique et très ressentie. L’effet en est même contagieux, preuve à l’appui.

Certains, comme moi, seront charmés par l’atmosphère générale de l’album et devront écouter l’intégral à plusieurs reprises pour rassasier l’appétit habituel de l’oreille musicale qui aime ce qu’on lui sert. D’autres reprocheraient, à raison, que Krezner ne sort pas trop de sa zone de confort et que, d’une chanson à l’autre, il y a cette même ambiance très sidérale qui ne lâche pas prise et qui touche rarement terre. Cette impression est réelle, chaque pièce de la version courte de 11 pistes se ressemble un peu d’une certaine façon. Mais n’y a-t-il pas dans tout album-concept, une homogénéité obligée, une sorte de concaténation nécessaire (excusez ma langue de bois)? Pour ma part, je pardonne cette linéarité, j’irais même jusqu’à la légitimer et la défendre. Qui aime comme moi les albums-concepts et les opéras rock comme celui-ci partagera ce point de vue.

En revanche, pour ceux qui cherchent plus de variations entre deux ou plusieurs pièces, la version deluxe de 23 pistes peut s’avérer un compromis. Si les dix premiers morceaux de la version originale sont très lissés et équilibrés, la pièce Under control et les autres chansons qui suivent évoquent sensiblement le lyrisme, la théâtralité et l’énergie de Peter Gabriel; ce qui détonne largement du pink-floydisme évoqué plus tôt. Force est d’admettre que la version «avec extras» rompt l’aspect rectiligne de ce remarquable monolithe sonore. Pour ma part, j’estime que ces pièces supplémentaires jurent dans le décor et corrompent l’équilibre de l’ensemble qui m’apparaît a priori irréprochable. Qu’à cela ne tienne, New World est un «classique instantané», si vous me permettez le lieu commun. Reste à le laisser prendre de la robe et du tanin, pour voir si la critique et le temps lui attribueront le statut de «cuvée mémorable».

 

Note: 9.5/10

Dany Larrivée

30 juin 2015

Chroniques parues simultanément chez Daily Rock Québec et Clair & Obscur (France).