Artiste : Dagoba

Album : Tales of the Dark Dawn

Sortie : 22 juin 2015

Label : Verycords

 

La France nous envoie une tonne de briques par les oreilles. Devrions-nous en être offusqués? Mais non, puisque cette tonne de briques c’est le p’tit dernier du groupe français Dagoba. Quelle lourdeur, quelle puissance, quelle pesanteur! J’en ai entendu des matraqueurs de bass-drum dans ma vie, mais du lot, Franky Costanza est probablement un des plus extrêmes. Son jeu, saturé de mitraille, de blasts et de canonnades multiples entre dans la cage thoracique comme un boulet de canon dans une coque de bateau. Parions que quiconque oserait braquer sa tête dans la grosse caisse de Costanza durant un spectacle aurait plus que de simples acouphènes. Il en aurait probablement une obusite aiguë et incurable. Un soldat exposé aux tirs et aux détonations en temps de guerres en serait peut-être même moins atteint que celui-ci. Enfin, j’ignore lequel entre le fan téméraire et le soldat d’infanterie serait le plus traumatisé, mais il y a dans le jeu de ce batteur plus que de la technique et de l’endurance, il y réside une énergie qui dépasse les simples lois de la physique. Mais à cela, rien de bien nouveau, puisque le batteur de la formation nous y habitue depuis leur premier album (Dagoba, 2003).

La scène métal européenne n’a rien à envier à son homologue américain, oh que non! Elle pourrait même lui donner une petite leçon d’humilité. Depuis près d’une vingtaine d’années, l’Allemagne, la Suède, la Finlande, la Norvège et la Russie nous démontrent l’efficacité de leur métal. La scène n’appartient plus aux monopolistes américains et britanniques. Dagoba fait d’ailleurs partie de cette généalogie atypique, bien qu’il faille admettre que la formation partage une génétique incontestable avec quelques bands de groove et de death nord-américains, dont Threat Signal, Pantera, Chimaira et Divine Heresy de même qu’au célèbre groupe français Gojira. Dans tous ces cas, on peut y répertorier des riffs de guitare très monolithiques aux pistes constamment doublées (voire triplées), une quasi-absence de solos, des instruments à cordes accordés très bas et au son souvent étouffé pour accentuer la lourdeur de l’ensemble (palm mute), des lignes de basses épurées ne servant essentiellement qu’à rajouter une fréquence et une profondeur au son, ainsi qu’une rythmique assurée par le picking effréné et le rythme explosif de double pédale de bass drum (aussi appelé blast beat).

À en croire les sociologues et les psychologues intervenant dans la plupart des procès américains ces dernières années, il serait déconseillé aux esprits instables d’écouter ce genre de musique. Bon, j’ai des doutes quant à l’influence malsaine d’un bon disque sur l’humeur d’un fou furieux, mais pour ma part j’estime que ça te remet une journée à sa place quand le moral n’est pas au beau fixe. Ça ravigote un tantinet et ça te «crinque» pour quelques heures sans les indésirables effets secondaires de deux ou trois Red Bull avalés d’un trait!

Avec ce sixième album, Dagoba atteint une remarquable maturité. La production exécutée par Logan Mader, l’ex-guitariste de Machine Head, est impeccablement travaillée (on ne s’attend à rien de moins de la part de l’homme derrière les têtes d’affiche citées plus haut et à la maison de disque légendaire qu’est Nuclear Blast). Le soin apporté à la sonorité de la batterie est irréprochable et les basses toutes catégories sont maximisées, sans pour autant rendre le tout abrutissant comme chez certains groupes de «nu metal» monocordes dont on taira le nom. Et puis, la voix de Shawter a atteint une efficacité qui n’a rien à envier aux groupes de métal américains dont le public est généralement friand. Sur ce dernier point d’ailleurs, force m’est d’admettre que le «growl» du chanteur Français a su me charmer (moi qui préfère les albums où chant clair et chant guttural s’alternent pour créer des nuances et des accalmies). Avec Face the Colossus (2009) et Post Mortem Nihil Est (2013), Shawter nous a prouvé qu’il savait varier le chant du spectre métal allant de la classique éructation «grindcore» au chant «clean» quoiqu’un peu rauque du genre Corey Taylor (Slipknot/Stone Sour). Et tout cela concordait avec l’ambiance de ces deux excellents albums. Cependant, dans le cas de Tales of the Black Dawn (sorti le 22 juin 2015), il semble que le chant presque exclusivement death metal de Shawter était de mise. Le mariage de sa voix et de l’infatigable batterie de Franky Costanza ne s’en trouve que des plus réussis.

Le seul point faible de cet album réside, comme l’ont souligné plusieurs collègues critiques à l’international, dans l’absence de variation d’une chanson à l’autre. Comme un album-concept, chaque chanson s’enchaîne avec une certaine linéarité. Si ce n’était du changement de titre sur mon iPod et quelques secondes de décalage entre chaque piste (nécessaires pour que l’auditeur sorte quelques secondes de sa descente en apnée), J’aurais eu l’impression qu’un unique morceau de plus de 40 minutes défile. Il ne s’agit pas là d’un défaut à proprement parler, mais plutôt d’une idée fixe de la part des membres de Dagoba : celle de nous faire explorer les gouffres les plus profonds et les plus sombres comme le «mohole» créé par le forage SG3 dans la péninsule de Kola (vous savez, là où un trou de plus de 12 km de profond a été foré près de Mourmansk en Russie et où l’on entend supposément les cris de condamnés à l’enfer?).

Quoi qu’il en soit, je n’ai pas cessé d’écouter l’album en boucles. Même si j’ai un parti-pris pour le death mélodique et le métal progressif où les dix premières mesures pourraient faire un morceau entier et où deux ou trois chansons pourraient être fabriquées à partir d’une seule piste, je considère cet album très efficace par son intensité, la qualité de la production et la sublime «ultra-violence» de sa sonorité. Pour ces principales raisons, j’octroie à cet album la note de 8/10. Et pour des raisons plus secondaires relatives à mon amour inconditionnel à l’égard de Gojira et Divine Heresy, j’ajouterais un demi-point supplémentaire par nostalgie et quasi-fanatisme. Parce que du bon death/groove, on n’en trouve pas à tous les coins de rue!

 

Note : 8.5/10.

 

N.B. : pour les incorruptibles fans de Gojira, Divine Heresy, Pantera, Chimaira et Threat Signal.

 

Le groupe sera en tournée au Québec début 2016

Chroniques parues simultanément chez Daily Rock Québec et Clair & Obscur (France).

 

 

Dany Larrivée

Québec

18 juillet 2015