Groupe: Feersum Ennjin
Album Feersum Ennjin
Sortie: 2011
Label: Dissociated Press
Bon, dernier retour sur Tool, promis! N’empêche que je ne peux passer ma découverte sous silence. Découverte tardive, certes, mais découverte majeure. En fait, il y a quelque temps, je suis tombé sur l’album éponyme du groupe Lesser Key, un projet lancé par nul autre que Paul D’Amour, l’ancien bassiste de Tool (bah oui, Tool, re-Tool et patati et patata…).
L’album de Lesser Key, excellent au demeurant, possède bien quelques éléments texturaux présents dans la musique de Keenan et cie. Or, elle possède tout de même son identité, celle d’un metal progressif assez accessible, rond, tout à fait proportionné dans sa structure. Du bruit contrôlé, efficace et cadencé, quoi… Mais là, je suis tombé sur le projet solo de Paul D’Amour qui, s’il rappelle par moment les bons vieux Lateralus et Aenima, possède néanmoins ses propres lettres de noblesse. Il s’agit de l’album éponyme de Feersum Ennjin (attention à l’orthographe pour ceux qui chercheront sur Google, puisqu’il existe une formation du nom de Feersum Endjinn et une nouvelle de sci-fi du même nom!).
Feersum Ennjin, c’est de l’or en barre, du minerai pur coulé dans le moule original du plus beau statuaire antique. C’est la Victoire de Samothrace en musique, dans ses proportions séduisantes et son harmonie, sa sensualité et sa monumentalité. La pièce «Fishing Grounds» fait voyager dans les antres sinueux des synapses, faisant dériver les sens dans quelque chose de profond, d’infini et de transcendant.
Franchement, D’Amour fait dans la mathématique, dans la symétrie de l’univers, dans une sorte d’alchimie compositionnelle. D’Amour, par son éclectisme, sa polyvalence et sa passion pour les musiques du genre large qu’est la grande et vaste école progressive, nous a donné les premiers albums de Tool Undertow (1992) et Opiate (1993), trois albums en collaboration avec la formation shoegaze Medecine (Shot Forth Self Living, 1992, The Buried Life, 1993 et To The Happy Few, 2013), le disque éponyme du cover band Replicants (1995), l’album Free Mars du groupe rock expérimental Lusk (1997), le projet synthpop Chlore et un projet de musique française plus traditionnelle sur des textes de Verlaine intitulé simplement «Paul D’Amour». Pas étonnant alors de retrouver dans sa musique une pléthore de sonorités les plus disparates les unes que les autres.
Feersum Ennjin, donne dans l’exploration musicale, alliant les talents de sculpteurs de sons D’Amour dans ses plus remarquables projets passés et l’énergie qu’on lui connait. Ne suffit que d’écouter le EP Lesser Key (2014) parallèlement à certaines pièces de l’album susmentionné telles que «The Wilderness» et «Dragon» pour saisir l’ampleur de cet insaisissable monolithe d’obsidienne (je ne sais pas, mais l’intelligence de la musique de ce cher Paul me fait inéluctablement penser à la stèle du roman de Clarke 2001: A Space Odyssey, apportant à l’humanité sagesse, vue et clarté). En cela, les 12 pièces de ce disque sont quasi-prométhéennes, éclairant l’obscur monde de l’insondable et le révélant ainsi à nos sens a priori engourdis, déroutés et privés de leur acuité. Certains titres tels que «The Fourth» et «U Boats» me laissent fortement cette impression.
Or, comme le curriculum du musicien est très hétérogène, le disque ici commenté l’est tout autant. Alors qu’on perçoit la couleur de Tool dans certains passages (il faut dire que la chose est tout à fait normale étant donné son passage dans la vie de la formation en question), on peut déceler certaines notes du bon vieux Adore des Smashing Pumpkins (je pense notamment aux pièces «The Raft» et «Hate The Sun»), ainsi qu’un parfum subtil de Stone Temple Pilots et de la bande du regretté Scott Weiland (principalement dans la chanson «Magus»).
Cet album, bien que découvert tardivement par votre présent critique, n’en est pas moins estimable (si l’on considère en plus que 5 des 12 chansons sur cet album sont parues en 2005 sur un premier EP, mon retard est largement compensé par la découverte). Au moment où le monde de la musique part littéralement en couille (le bon grain est jeté et l’on garde principalement l’ivraie, les herbes amères et autres mochetés pop), le génie musical et la créativité font du bien. À faire tourner et tourner de plus belle dans le médium de votre choix (table-tournante, iPod, ordinateur, lecteur de disques compacts, boîte de croustilles Pringles, conque ou autre).
Sur ces mots bien moins éloquents que la musique de Paul D’Amour elle-même, je pars m’effondrer sur mon sofa, le volume à fond, en mettant quelques morceaux de cet album en boucle. Moi, ça me parle. Dommage que je n’aime pas l’herbe, car il me semble qu’un petit pétard pour accompagner cette musique serait digne d’un voyage mental tel que décrit dans le film Altered States (Ken Russel, 1980)…
https://www.facebook.com/feersumennjin
Chronique parue simultanément chez Clair & Obscur (France) et Daily Rock (Québec)
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