Pour sa douzième édition en treize ans d’existence, le Festif de Baie St-Paul débute sous un ciel incertain et un mince voile de pluie rafraîchissante qui se dissipera aussitôt. On se serait crû pour un instant de retour à la normale; les techniciens discutent d’équipement de son et partout on jase de musique, de microbrasseries et de voyage en Gaspésie. Les discussions reprennent précisément là où elles se sont arrêtées, subitement et abruptement, en mars 2020.

The Barr Brothers, en formule duo, allait débuter cette édition bien pleine d’émotions et de retrouvailles. La nouvelle scène du Parc de la Virevolte offre à elle seule un spectacle aussi époustouflant que le duo en performance. La prestation épurée est digne de la grande réputation du groupe qui, depuis ses débuts, fait de nouveau tourner les têtes en direction de la métropole comme si nous étions toujours en 2008. Le succès est encore bien en-dessous de la qualité et du mérite du groupe des frères Barr, et la performance en fut une preuve monumentale.

Les navettes d’autobus jaunes allaient ensuite nous mener droit au lieu ésotérique où Klo Pelgag devait donner sa deuxième représentation de la soirée. C’est sur des sièges de bottes de foin, pour encourager la distanciation, que le public allait être convié à prendre place. Quelques minutes se sont écoulées avant qu’une grande proportion des spectateurs accourent vers la scène pour admirer la performance de mademoiselle Pelletier-Gagnon de plus près. Klo Pelgag est une bête de scène farouche et une artiste accomplie en équilibre précaire sur la lisière de l’expérimentation, de l’introspection et de la chanson pop. C’était le brin de folie nécessaire pour permettre la catharsis.

Alors que de plus en plus de spectateurs envahissaient le centre-ville de BSP, la deuxième journée du festival nous mena au concert de Maude Audet et de Louis-Jean Cormier. L’auteure-compositrice a la voix éraillée Maude Audet lançait l’an dernier le merveilleux Tu ne mourras pas, un premier album absolument réussi, rafraîchissant, et à contre-courant du paysage musical québécois de 2021 qui offre, disons-le, son lot d’albums surproduits avec des tonnes de claviers. Plus récemment, l’auteure-compositrice lançait le même album mais traduit en anglais sous le titre de Translation. On peut douter de la pertinence d’un tel projet alors que l’album francophone est mémorable, celui en anglais l’est beaucoup moins. Sa performance fera l’amalgame des deux albums. Sans aucun doute, les pièces francophones ont davantage touchées le public Les pièces de Tu ne mourras pas sonnent, tout simplement, plus naturelles dans la bouche de l’artiste.

Celui qui allait suivre n’a plus besoin de présentation -ni de promotion- Louis-Jean Cormier allait donner une représentation assez rock de pièces provenant principalement de ses deux dernier opus soit Quand la nuit tombe et Le ciel est au plancher devant un public toujours conquis d’avance. Nous sommes à mille lieues de l’émergence.

En plein centre du festival de cinq jours, Steve Hill allait rendre hommage au légendaire Jimi Hendrix sur la scène communément nommée le Pit de Sable. Le lieu épouse à merveille l’ambiance créée par le maître guitariste du Québec et de ses musiciens. Le public a toutefois semblé peu attentif et particulièrement bavard principalement lors des chansons ne faisant pas partie du Top 5 de Hendrix. La performance fut toutefois absolument époustouflante et impressionnante par sa justesse d’exécution.

Le lendemain, Marie-Pierre Arthur conviait, pour sa part, ses fans en plein après-midi sous un soleil plutôt ardent. Ce concert était bourré de convivialité et présenté sous une approche plus familiale que sa performance deux semaines auparavant à l’église de Lavaltrie, à laquelle j’ai aussi pu assister. Même si j’ai tendance à préférer ma Marie-Pierre un plus plus rude, rock, voire garage, le rappel de Si tu savais en acoustique et la nouvelle version de Déposer les armes furent à eux deux le clou du spectacle. Sa voix toujours juste est une des plus belles et douces voix de la chanson québécoise de la dernière décennie autant sur album qu’en spectacle.

Alors que tranquillement le Festif tirait à sa fin, la plus grosse soirée du festival avec Fouki s’annonçait plus que populeuse. Une horde de fans, disons pré-adultes, ont pris possession du centre-ville nous laissant à nous, les plus vieux, le sentiment de ne pas être à la bonne place au bon moment. Et c’est tant mieux. À eux seuls, les rappers Fouki et Zach Zoya, auront divisé par deux la moyenne d’âge des festivaliers présent dans le village. Mais par chance pour les anciens, Michel Rivard était aussi de la soirée pour nous redonner un peu le sens de la cohérence. comme un vieux philosophe qui étale les pages de son livre, le routier de 70 ans aura réussi à captiver et à maintenir pleinement silencieux 200 quelques spectateurs durant plus d’une heure avec comme seule artifice une guitare acoustique et ses mots pour envoûter. Un pur moment de grâce que seul le Festif est capable de mettre en œuvre. Le technicien derrière le sublime éclairage de ce spectacle a démontré sans l’ombre d’un doute qu’il est, lui aussi, un très grand artiste. Ça aura été, pour la Xième fois, la preuve qu’une poignée d’organisateurs de festival avec de grandes idées peuvent enfanter de moments, de parcelles de temps, magiques qui dépassent l’entendement et notre compréhension du monde.

 

Photo: David Atman

Photos dans l’article: Jay Kearney & Caroline Perron