Mardi soir, il pleut. Je pense à Mario Pelchat qui pleure, je pense à mon char, ce gros tas de tôle qui rouille. Je pense aussi qu’il faut que je m’habille si je ne veux pas rater Jon Spencer qui joue ce soir au Théâtre Fairmount, l’ancien Cabaret du Mile-End. Après une douche rapide, je saute dans mon vieux falzar et je prends la route. Après avoir stationné mon char n’importe comment pis n’importe où, je me dirige d’un pas lent mais décidé vers le Théâtre récemment rénové. Je suis accompagné de mon amie Amélie, la duchesse de Saint-Henri, qui a finalement décidée de m’accompagner. Merci à toi duchesse.

Jon Spencer, est né Jonathan Spencer il y a plus ou moins 50 ans à Hannover. Il fonde le Jon Spencer Blues Explosion en 1990 à New-York, avec Juda Bauer à la guitare et Russell Simins à la batterie. Sur scène, il est un flamboyant personnage, à situer mi-chemin entre Lux Interior et Elvis Presley, avec un brin de folie à la Jim Zeller. Bluesman iconoclaste, il unit par le feu et les hurlements rythm and blues, punk, rock garage et plusieurs autres déjections mais en moins grande quantité. Il a été membre des Pussy Galore, Boss Hog et Heavy Trash. Infatigable, il est aussi le fondateur du label In The Red, un des plus influents et éclairés du moment.

21h04. Il ne fallait pas arriver en retard car les We Are Hex sont déjà sur scène. En entendant Jilly Weiss, la chanteuse, je pense aussitôt à Nicola Kuperus, la moitié féminine du groupe Adult, le duo punk-electro de Detroit. Je pense aussi à Siouxie, aux Yeah Yeah Yeah… et même à Primus ! Sûrement habitués aux anciennes heures d’opération tardives, les spectateurs se font plutôt rares. Ce qui ne semble pas embêter Weiss qui donne une performance animal, le micro bien enfoncé dans la gorge !

Il est un peu passé 22h lorsque Jon, bien sapé à la Tav Falco, et ses deux potes montent sur scène, toujours sans bassiste, avec un gros drapeau des États-Unis en toile de fond. Le groupe vient défendre son dernier microsillon : Freedom Tower : No Wave Dance Party 2015, 3 ans après Meat + Bone sorti en 2012. Après les habituelles salutations en simili-français, Jon envoie la première décharge, ampli dans le tapis. Le Fairmount tremble, Russel Simins frappe sur sa batterie comme un aliéné. Spencer toujours habité par un démon, hoquette, trotte, saute, grimace et chatouille son thérémine au passage. Du côté de Juda Bauer, c’est tout le contraire, il reste impassible, en contrôle de sa Telecaster. Le groupe passe en revue le meilleur de son vaste répertoire, une forme de déconstruction du blues qui lui est propre. À peu près tous les albums y passent, de Crypt Style à Freedom Tower en passant par ACME et Orange. C’est une incroyable occasion de voir le Blues Explosion dans une salle comme le Fairmount car la disposition de la scène permet, peu importe où on est dans la salle, une excellente visibilité. Voir une légende de si près, ce n’est pas tous les jours que ça arrive ! Après un rappel généreux et quelques pintes de sueur, c’est le moment de dire au revoir et de tirer la plogue. Spencer s’adresse à la foule en mâchouillant ces mots : « That’s right ladies and gentlemen, thank you for letting me into your home ! ».

23h30, après une heure trente de blues schizophrénique, je suis dehors. Il pleut, je repense à Mario Pelchat et ses lamentations. Je me dis que c’est drôle car moi, quand je braille, je fais pleins de grimaces pis il ne pleuvra jamais assez fort pour cacher ça…

Texte: Fred Lareau

Photo Micha Warren