La saison des festivals s’annonce riche et la banlieue nord de Montréal vient de mettre la barre très haute. Santa Teresa n’est pas le nom d’un navire de la flotte de Christophe Colomb, mais plutôt le premier festival à mettre pied à terre pour annoncer la saison estivale. Les mélomanes sont restés ébahis devant la diversité et la profondeur de la programmation lorsque celle-ci fut dévoilée en grande pompe il y a à peine quelques semaines. Se situant quelque part entre Pop Montreal et le Festif, elle permet de ratisser assez large en conviant plusieurs tranches d’âge sous un ciel clément et le clocher de l’église. Pour une première édition, les organisateurs n’y sont pas allés de main morte sur le dos de la cuillère. Et ils ont beurré épais, et c’était parfait. Nous avons eu la chance de participer à l’une des soirées du festival et d’assister à deux concerts tout à fait mémorables.

Patrick Watson a d’ailleurs rempli l’église Ste-Thérèse d’Avila deux fois plutôt qu’une. C’est avec Louis-Jean Cormier et Safia Nolin en première partie que le spectacle du vendredi soir eut lieu. Nous assistons carrément à un programme double Watson/Cormier, deux grandes têtes d’affiche dans des formules complètement différentes. Louis-Jean Cormier, seul sur scène avec sa guitare nous rappelle pourquoi il est depuis de nombreuses années le plus grand auteur-compositeur du Québec. Sans être un grand fan de sa musique, et l’ayant vu plus d’une dizaine de fois depuis l’époque Karkwa, cette performance fût de loin la meilleure que j’ai pu voir. Il semble libre et ne doit plus rien à personne. Certaines pièces interprétées avec beaucoup de distorsion ont dû faire grincer des dents plusieurs personnes, mais pour d’autres il s’agissait tout au contraire d’un retour aux sources depuis longtemps attendu. Les rumeurs sur un éventuel retour de Karkwa semblent avoir donné beaucoup d’entrain à l’ex-juge de La Voix. La formule semi-acoustique; un micro, un ampli, laisse toute la place à la poésie de l’auteur et à la subtilité de ses mélodies.

Patrick Watson devait alors se présenter sur scène avec une troupe de plusieurs musiciens et choristes à faire vibrer les vitraux. L’église toujours aussi pleine, nous aurions pu nous attendre à ce qu’elle se vide après le passage de Louis-Jean, mais ce ne fut aucunement le cas, écoutait avec un silence de marbre le pianiste nous interprétés des pièces surtout plus récentes de son répertoire. Son groupe est incroyablement solide et réussit à le suivre dans toutes ses élucubrations. L’orchestration se rapproche parfois d’un son très indie-rock à la Arcade Fire, parfois au contraire très folk, plus près de Leonard Cohen. Dans tous les cas, on parle du son montréalais et avec raison. Le son qui fait que la planète tourne la tête pour nous observer un moment donner un second souffle à nos églises de banlieue. Une performance magistrale qui manquait peut-être un peu de succès, mais qui a laissé place à beaucoup de magie. Un solo d’égoïne. Et une improvisation musicale intitulé Jesus in my back pocket.

Fallait se grouiller un peu pour ne pas manquer Sunns au Monté Cristo qui envoutait le bar avec une musique post-punk/dark-wave très près de ce que les Cure, Bauhaus ou Joy Division pouvait faire il y a trente ans. Comme si on était plongé dans un remake du film Le Corbeau, mais réalisé par Tim Burton. Une drôle d’ambiance entre la joie et la dépression, c’est flou et parfois très répétitif, mais néanmoins grandement intéressant.

Duchess Says allait prendre la relève devant un public clairement montréalais. Le Mile-end s’était déplacé et avait bravé un pont pour assister à cet événement qui en valait grandement la peine et le coût. Le groupe d’Annie-Claude Deschênes a pris possession de l’espace et du système de son comme seul un groupe d’expérience en est capable. Avec plus de 15 ans de tournée dans la poche arrière, le groupe captive aussitôt l’auditoire et donne des performances (presque) aussi endiablées qu’à ses débuts. Après avoir fait danser la centaine de personnes présentes et d’avoir trimballé son micro branché jusqu’aux tables de billard au fond de l’établissement pour y déranger une partie, Annie-Claude et son groupe remonte sur scène pour un rappel d’une vingtaine de minutes afin de clore mon incroyable première et brève expérience du festival Santa Teresa. Les mythes se créent à Sainte-Thérèse.

Texte: David Atman