Groupe: Gojira
Album: Magma
Sortie: 17 juin 2016
Label: Roadrunner Records

Dieu merci, nous avons survécus à Donald Trump, à l’EI, à Poutine et à la menace nucléaire latente, à la Corée du Nord et à cet imbécile de Kim Jong-Un pour pouvoir être témoins de la sortie tant attendue de Magma, le dernier disque de Gojira. Dieu merci, le monde tiendra encore bon jusqu’à 17 juin, parce qu’il le faut!

C’est en primeur que j’ai reçu le sixième album du groupe français il y a quelques heures. Je n’en ai pas dormi de la nuit. Il a fallu que je me réveille et mette mes écouteurs afin d’écouter quelques morceaux afin de contrer mon insomnie et mon excitation. L’attente était insoutenable. J’ai bien dû écouter une bonne dizaine de fois la pièce «Silvera», un titre paru il y a quelques semaines sur le net, en tant que single et vidéoclip promotionnel. Quel chef-d’œuvre! Certains fans purs et durs diront que Gojira s’est assagi, d’autres, comme moi, diront que la formation de Bayonne s’est raffinée. Pourtant, Gojira n’y va pas plus en douceur que par le passé. La lourdeur de la batterie, dirigée de bras et de pieds de maître par sieur Mario Duplantier, est toujours au rendez-vous, matraquant et mitraillant la grosse caisse comme seul lui et notre Franky Costanza bien aimé peuvent le faire (au fait, pour ceux qui l’ignoraient, Costanza a quitté Dagoba il y a quelques jours, damn it!). La voix et la guitare de son frère Joe sont toujours aussi efficaces qu’un pavé dans la gueule. Non, Gojira ne s’est pas ramolli! Gojira a pris du gallon, Gojira a gagné en expérience, en subtilité. Comme un vin millésimé, la formation a suppléé la force et la vitesse de l’album culte From Mars To Sirius (écoutez les pièces «Backbone» et «FromThe Sky» et osez défier Duplantier à la double pédale sans éprouver crampe aux mollets!) pour la finesse compositionnelle, l’architecture cyclopéenne et la structure effeilienne de ses nouveaux titres.

Franchement, le groupe gagne en saveurs, mais surtout en arômes. Moins brute, moins monolithique, Gojira délaisse l’attitude très wagnérienne de son écriture usuelle (qui lui sied également bien) pour adopter le tempérament plus nuancé et plus senti d’un Beethoven (si vous me permettez le rapprochement entre les deux compositeurs romantiques et notre bien-aimée formation metal). De chansons aussi monumentales et en un seul bloc telles que  «Toxic Garbage Island» ou «Planned Obsolescence», on passe aux compositions plus matures et plus vastes dans le genre «Born In Winter» (L’Enfant Sauvage), «The Silver Cord» et «The Art Of Dying» (The Way Of All Flesh). C’est du moins ce que l’on retrouve avec la chanson «Silvera», un moment marquant, le climax du disque, en somme.

Cet album, plus complexe, plus recherché et plus abouti, mêle la transcendance aux matériaux élémentaires. On sent que le monde sensible, les microcosmes, côtoient sur un même plan sonore le monde empirique. On perçoit dans l’ambiance de chaque morceau cette marque, cette signature gojiresque sur le plan des idées comme dans la forme. De la thématique récurrente du cordon d’argent, ce lien ombilical et mystique qui unit le corps physique au corps astral ou psychique (une sorte d’âme/alter-ego présente dans un plan immatériel), on passe à une musique planante et quasi cosmique, le tout soutenu par la voix à la fois death et clean de maître Joseph Duplantier, le gourou de la bande. Bref, dans les textes comme dans la musique, on croit ressentir (à tort ou à raison), un triste événement survenu dans la vie des frères Duplantier il y a quelques mois. Le décès de leur mère, qui a d’ailleurs causé d’interruption de l’enregistrement du nouvel album dans le studio Silver Cord à NYC, semble avoir teinté l’esprit cérémonial, voire ésotérique de Magma. C’est du moins l’impression que j’ai à l’écoute de certains extraits tels que «Pray» et l’enivrante «Low Lands» où l’on peut y entendre: […]In the afterlife, par-delà le ciel, par-delà le soleil… the sun is on our side […]There will be a new day, another sunrise. Tell me what you see, when you’re everywhere…, extrait qui me ramène d’ailleurs à ma vieille lecture fascinée des Thanatonautes et de L’empire des anges de l’auteur belge Bernard Werber.

Enfin, il me semble bien que de telles paroles traitent de la mort et d’une après-vie où l’âme est omnisciente. Et si j’ai bel et bien compris, tout cela est familier à l’univers Gojira. Donc, à ce titre, rien ne change. Le groupe évolue toujours dans un monde des possibles avec une spiritualité très ouverte. En somme, Gojira n’a jamais fait, ni ne fait, ni ne fera du metal abrutissant où il est question de démembrement ou de meurtre de sang froid. Bonne nouvelle. Enfin, bonne nouvelle pour les amateurs de metal à contenu tels que moi.
Et puis, entre autres innovation sur Magma, on peut notamment souligner l’ajout de pièces instrumentales aux accents tantôt tziganes (voir «Liberation»), tantôt empreintes du phrasé familier de Cliff Burton autrefois entendu sur «Anesthesia-Pulling Teeth» (voir «Yellow Stone»). Et pour ceux qui l’ont peut-être remarqué, Joe Duplantier use davantage du chant clean sur ce nouvel album. En tout cas, cela me réjouit, car sa voix se prête merveilleusement bien au death éthéré et stellaire de Gojira. Et, une fois doublé de la sorte, avec un ajout de reverb et de chorus, le tout prend une dimension aussi infinie qu’intangible. En cela, cet apport nouveau contribue à créer cette atmosphère métaphysique qui nous plaît tant chez la formation.

Or, ne croyez pas à tord que la lourdeur pachydermale que l’on reconnaît normalement chez la formation bayonnaise est absente sur Magma. Si vous êtes convaincu de cela a priori, vous risquez de tomber de votre tabouret et de vous casser la gueule en beauté. Car ce disque comporte son lot de morceaux granitiques, son usuel plomb musical. Des pièces telles que «The Shooting Star», «The Cell» et «Only Pain» sont là pour réjouir les fans de death et de lourd en général. On revient donc par moment à la nature originelle du groupe, rappelant que Gojira, malgré cette évolution marquée, demeurera toujours Gojira, avec son picking staccato assourdi par le palm mute, le pickslide et les effets de wah-wah ou de vibrato des guitares, de même que le blast beat soutenu de la batterie. Ces trois chansons à elles seules nous renvoient d’ailleurs au bon vieux temps de The Way Of All Flesh. Pour les nostalgiques, ça le fait. Pour ceux qui aiment le neuf, ça le fait aussi! Pour toutes ces raisons, j’affirme haut et fort qu’il s’agit d’un triple coup de cœur, un coup de cœur bien senti à froid sur l’enclume. Gojira, je t’aime!!!
Dann, un critique et fan inconditionnel

http://magma.gojira-music.com

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Chronique parue simultanément chez Clair & Obscur (France) et Daily Rock (Québec)