Dans un RITZ sold-out, suant et à bout de souffle, Colin Stetson a livré une performance à domicile, niant la limite entre le Grand Art, la performance physique et le championnat du monde d’apnée. Impressionnant Chef d’Œuvre.

 

Certaines choses ne s’expliquent pas. La magie commandera en plus d’éviter de les comprendre pour en préserver la beauté et pourtant ici il s’agit de mettre en mots une expérience émotive intangible. Colin Stetson est de fait de ce bois, impalpable.

 

Ou de ce cuivre, plutôt. Accompagné de quelques instruments pourtant relativement conventionnels, il déchaîne les enfers et le reste dans un tourbillon de notes dont on ignore tant la provenance que la destination. C’est impalpable et pourtant tout le corps réagit; sa musique nous frappe et nous habite avant d’avoir pu nous traverser. Ni les polyphonies corses ni Le Vol du Bourdon n’ont su générer tel délire entre la perte de retard et le confort velouté d’un tapis de notes.

 

On navigue d’une pièce à l’autre entre une jungle tribale confinée et les grands espaces. Colin Stetson barrit, cri, souffle, hurle. Le son est ample, organique, viscéral, multiple. Nous voyageons partout à la fois, immobiles, à peine perturbés par ces corps qui petit à petit ondulent dans ses rythmes tantôt martelés, tantôt suggérés.

 

Entre les souvent longues pièces, Colin Stetson semble revenir à la réalité. Il ré-ouvre les yeux et nous raconte ses histoires en reprenant son souffle. Aucun d’entre nous ne serait en mesure de rester debout — encore moins de parler — après le quart de ce qu’il nous offre avec une générosité totale. Marathon, piscine, trompette: il nous prend tous, et tous en même temps.

 

Sa musique est complexe, unique, pétrie d’évidences et de contradictions; elle n’est à aucun moment hermétique. Seuls quelques mauvais coucheurs décideront de passer à côté d’une telle communion entre les êtres, à peine perturbée par l’agressivité de la sonorisation du Ritz. Et cette boule disco qui tourna au-dessus de nos têtes, imperturbable.

Marien Joly