Artiste: Earthside

Album: A Dream in Static

Date de sortie: 23 octobre 2015

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Wow! Je suis à la renverse. J’en ai des frissons. J’ai l’impression d’avoir assisté au Big bang, d’avoir vu le premier levé de soleil de l’histoire, d’avoir parcouru l’univers jusqu’à sa plus lointaine frontière et d’en être revenu que depuis peu. J’exagère à peine. Je viens d’écouter Mob Mentality, un extrait vidéo de A Dream in Static, le premier album du groupe progressif Earthside. Je n’ai jamais ressenti une aussi grande excitation à la veille d’une sortie d’album. Bon, j’ai peut-être éprouvé un tel enthousiasme par rapport aux sorties des petits derniers de TesseracT et de Periphery, mais comme les résultats m’ont déçus, ça ne compte pas. Je sais pertinemment que cette galette tombera dans mes cordes.

Earthside, c’est littéralement le projet musical qui manquait à l’année 2015 pour qu’on puisse définitivement la retenir dans une chronologie de l’histoire de la musique moderne. Je suis même convaincu que le nom de la formation figurera dans les almanachs musicaux du futur, qu’elle aura une pérennité certaine. Et dire qu’on croyait que la musique allait bientôt stagner et s’essouffler avec l’avènement du numérique, la distribution vorace de la pop et la diffusion de «hits» éphémères dans la veines des puérils Gangnam Style, All About That Base et I’m Sexy and I Know it! Nous étions loin de la vérité. En tout cas, ça ne risque pas d’arriver tant que des artistes du genre existeront. Chaque décennie possède ses pionniers. Dans les années 1950, nous avons connu les Beatles, en 1960 débarquaient les révolutionnaires King Crimson et Pink Floyd, les années 1970 nous ont offert Rush, 1980 a engendré Porcuptine Tree, la décade 1990 nous a donné Dream Theater. Puis, dans la première décennie du XXIe siècle, nous avons eu le bonheur de voir naître TesseracT. S’il y a un nom à retenir à chacune de ces périodes, force est d’admettre que notre décennie actuelle devra éventuellement retenir le nom de Earthside dans son panthéon du progressif.

Avec Earthside, comme avec TesseracT ou Animals as Leaders (pour ne nommer que ceux-là), on assiste à une exploitation optimale du talent et à une étonnante communicabilité émotionnelle entre une formation et son auditoire. Le métal ne se contente désormais plus à matraquer la batterie et à hurler sa hargne et le progressif actuel s’est donné pour mission d’aller au-delà de la simple expérimentation ou de l’orgueilleux déploiement de sa technicité. Il y a maintenant près de 30 ans, Dream Theater a pavé la voie à un genre progressif à la fois technique et audacieux où jouer d’un instrument signifiait également «se livrer». L’expérience du métal progressif repousse une autre fois ses propres limites, nous emmenant dans une zone d’intensité musicale rarement fréquentée. Les lignes de guitare de Jamie van Dyck, d’une harmonie et d’une sensibilité rares, et les signatures temporelles de la batterie brillamment jouée par Ben Shanbromb ne peuvent d’ailleurs laisser indifférent (à moins d’être fait de pierre ou de carrément détester le progressif).

Le premier album d’Earthside n’est pas encore sur le marché que déjà la communauté des critiques s’enflamme pour la nouvelle formation originaire de New Haven dans le Connecticut. Et pour cause, l’extrait Mob Mentality nous a fourni de quoi s’enthousiasmer. Accompagné du Moscow Studio Symphony Orchestra, le morceau débute énergiquement à grands coups d’archet pour s’évanouir aussitôt en une nuée de cordes vibrantes et de flûte traversière avant d’exploser une seconde fois, se calmer l’instant d’après pour fulminer de plus belle alors qu’entre en scène Lajon Witherspoon, le talentueux chanteur du groupe Sevendust. Du grand art, de la grande création, voilà ce que c’est!

Des noms du métal contemporain se sont également joints à cette entreprise audacieuse et grandiose. Le chanteur de Soilwork et collaborateur de I’Legion s’est joint à la bande de Earthside et a prêté sa voix pour l’excellente pièce Crater (également disponible sur YouTube pour écoute). Pour les fans du groupe death suédois, la collaboration de Björn Strid pourrait étonner. Or, sa voix se prête merveilleusement bien à ce genre musical. Utilisant en alternance un «growl» texturé et une voix «clean» très mélodique dans sa propre musique, le chanteur scandinave devient alors le choix tout indiqué pour la pièce du groupe américain. Son timbre se marie avec perfection à l’ensemble. Le résultat est totalement convaincant, et l’ambiance générale de la piste est carrément transcendante (comme le reste des morceaux déjà rendus publics). S’ensuit également A Dream in Static, une pièce à tendance djent interprétée par Daniel Tompkins, nul autre que l’actuel chanteur du groupe TesseracT. Le morceau, une ingénieuse combinaison de djent alliée à une musique de trame sonore, surpasse même en brio l’album Polaris, un disque un peu plat qui a fait couler beaucoup d’encre dans le domaine de la critique musicale au cours des dernières semaines. On retrouve d’ailleurs dans ce seul éponyme toute la finesse et le talent de la formation britannique sans cette note pop et doucereuse que l’on retrouve désormais chez elle (sans être méchant, j’oserais même dire que Tompkins aurait intérêt à joindre Earthside et laisser Ashe O’Hara réintégrer TesseracT; tout le monde en sortirait ainsi gagnant!).

Mais je vous interromps tout de suite dans votre lecture, car il m’est impossible de rendre justice à cet album avec de simples mots. Ce serait comme de vous décrire un film avec toutes ses subtilités, ses jeux d’acteurs, sa mise en scène, sa direction photographique et sa bande sonore en vous privant de l’image et du son. Allez plutôt visionner la superbe vidéo jointe à cet article, car bien franchement, je ne me sens pas à la hauteur pour livrer fidèlement mes impressions. En revanche, il m’est possible de dire que j’éprouve à l’égard de la pièce Mob Mentality une ivresse et un vertige semblables à ceux que j’ai déjà ressentis pour l’album Altered State de TesseracT (pour ce qui est des arrangements vocaux de Witherspoon et Jamie van Dyck) ou pour le magistral album Puritanical Euphoric Misanthropia de la formation norvégienne Dimmu Borgir (qui avait d’ailleurs fait appel au service de l’Orchestre symphonique de Göteborg pour l’enregistrement de leur cinquième album en 2001).

Or, si je puis agir ici en conseiller, en juge et en mélomane, il me semble essentiel de suivre cette nouvelle formation, car on a rarement l’occasion de jouir de mélodies aussi complètes et aussi abouties en un seul morceau (et cela s’applique pour les huit pistes de l’album, qu’elle soit instrumentale ou non). Et puis, si l’on considère que l’album a été produit par David Castillo (Opeth, Katatonia) et Jens Bogren (Soilwork, Opeth, Symphony X, Devin Townsend), aucun fan de métal progressif, de métal symphonique ou de djent ne saurait être déçu. La qualité du son n’a d’égal que le soin chirurgical apporté aux compositions de cette nouvelle et prometteuse formation.

Dany Larrivée

18 octobre 2015.

N.B.: Ont collaboré à cet album: Björn Strid ( Soilwork; I, Legion; ex-Disarmonia Mundi),

Daniel Tompkins (TesseracT; White Moth, Black Butterfly; Piano; Absent Hearts; Haji’s Kitchen; Voyager; ex-Skyharbor; ex-In colour) et Eric Zirlinger (Face the King; ex-Seer)

Chronique parue simultanément chez Clair & Obscur (France) et Daily Rock (Québec)

 

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