Le Daily Rock s’est entretenu avec Mononc’ Serge qui vient de lancer un nouvel album intitulé «Réchauffé» qui comporte des remodelages d’anciennes compositions avec de nouveaux arrangements. Nous avons tenté de lui faire passer une entrevue sérieuse qui était tout sauf du réchauffée. Ça ne peut pas rester sérieux bien longtemps, le Mononc aura toujours le dernier mot pour rire et faire rire.

 

D.R.: Nous allons débuter cet entretien avec une question plutôt large. Comment faire pour garder l’inspiration après des décennies de création? Qu’est-ce qui t’inspire en 2019? En quoi l’inspiration en début de carrière est différente de l’inspiration quand on a beaucoup plus d’expérience? Et, est-ce que c’est plus facile de composer maintenant plutôt qu’à tes débuts?

Mononc: C’est effectivement beaucoup plus difficile de créer maintenant que ce l’était à l’époque. On prend de mauvaises habitudes avec l’expérience. On tente toujours inconsciemment de refaire ce qu’on a déjà fait. Alors, qu’en début de carrière, je me sentais plus libre, je pouvais aller n’importe où. C’est plutôt rare les artistes qui changent radicalement avec les années, nous évoluons, mais nous restons toujours les mêmes, au fond. C’est plus difficile maintenant de sortir quelque chose de nouveau et de pertinent. Pour l’album «Réchauffé», le plus gros du travail était déjà fait, je n’ai fait que resservir le plat avec un nouvel assaisonnement. Ça a été un processus beaucoup moins ardu que l’album précédant «La Révolution Conservatrice».

 

D.R.: As-tu une routine de composition? Le matin, le soir, la nuit? Les textes en premier ou la musique d’abord?

Mononc: Je n’ai pas vraiment de méthode ni de routine, mais je reste toujours à l’affût des nouvelles idées qui pourraient arriver par hasard. Jusqu’à 2009, j’étais toujours en train de composer et d’écrire de nouvelles pièces, j’écris moins avec les années, et même ces temps-ci, je n’écris pas du tout. Je composais beaucoup comme si c’était une manière de ne pas perdre l’inspiration, comme si je devais laisser le robinet ouvert par peur que ça finisse par se boucher. Maintenant, je suis moins craintif et beaucoup plus relax, mais je prends toujours des notes lorsque j’ai une idée ou simplement lorsque j’entends quelqu’un parler. Ça commence bien souvent par une phrase ou quelques mots et une mini-mélodie. J’avance doucement, un pas à la fois, sur les deux aspects de façon parallèle.

Tu sais, je crois qu’il ne faut surtout pas trop penser. Un album peut prendre un an de création, et aujourd’hui j’ai envie de prendre mon temps parce que soyons honnête un instant, personne n’attend vraiment un nouvel album de Mononc’ Serge.

 

D.R.: On te connaît tous comme une bête de scène, aimes-tu le travail en studio? Tu trouves ça fastidieux ou au contraire tu te sens comme un poisson dans l’eau?

Mononc: Ça dépend des moments, c’est plutôt ambivalent. J’aime le résultat du studio, mais de le faire c’est effectivement assez fastidieux. Composer aussi c’est fastidieux, mais ça répond à une pulsion, ça calme une obsession. Le processus de studio commence bien souvent dans mon sous-sol, et cette étape est très décourageante. Les chansons finissent presque toutes par me taper sur les nerfs. On développe une relation amour-haine avec elles. Il arrive un moment où on doit tout laisser reposer. Ce qui me plaît bien dans le studio c’est lorsque mes musiciens et moi enregistrons tous ensemble. «Réchauffé» et «La Révolution Conservatrice» ont été fait comme ça. C’est ça la musique; jouer ensemble, réagir l’un à l’autre, on s’écoute, on s’influence dans nos nuances.

 

D.R.: Même si tu es une bête de scène complètement dévergondée, on te sent timide, on sent le masque du personnage public. Et dès qu’on la chance de te parler en privé, on a alors aussitôt l’assurance complète que tu es quelqu’un de très timide. Quelle part de ce personnage scénique t’appartient en réalité?

Mononc: C’est vrai qu’il y a un gros contraste entre ces deux aspects de ma personnalité, et ce n’est pas volontaire. Mais, en fait, je ne sais pas si Mononc Serge est vraiment un personnage. C’est plutôt un rôle ou même un devoir. C’est mon devoir d’être divertissant. Ça devient naturel dès que je monte sur scène d’être baveux et excentrique, mais c’est toujours par souci de divertir. Il y a une part de moi assez baveux dans la réalité, mais je ne m’assume pas. La scène ce n’est pas la vraie vie, c’est en dehors du monde réel, lorsque j’y monte, c’est pour franchir les limites.

 

D.R.: Tu fais assez régulièrement référence à des auteurs et des philosophes. C’est un côté de Mononc’ Serge qu’on ne soupçonne pas nécessairement à la première écoute de ton œuvre, mais y a-t-il un grand intello à l’intérieur de toi? 

Mononc: Pas à ce point, je ne suis pas un grand intello, mais disons que je m’intéresse quand même beaucoup à ces questions. J’ai beaucoup d’intérêt pour l’Histoire et un peu pour la Philo aussi. Il y avait une rumeur qui courait comme quoi j’avais un doctorat, c’est complètement faux, je n’ai fait que deux sessions.

 

D.R. Aimes-tu toujours réellement jouer tes vieux succès, ceux qu’on te demande soir après soir? Comment réussis-tu à y trouver du plaisir malgré le fait que tu dois jouer Marijuana cent fois par année depuis quinze ans? Est-ce qu’on en arrive à un point où même si nous sur scène on a plu autant de plaisir à jouer certaines pièces et juste de voir le bonheur dans les yeux du public nous suffit?

Mononc: C’est exactement ça. J’essaie toujours de privilégier mes plus récentes pièces parce que c’est ce que j’ai envie de jouer, mais le public sortirait du concert déçu. Je dois faire un compromis. Et tu as vu juste, Marijuana est l’une de celles que si je pouvais je ne jouerais plus. Ça arrive à quelques occasions que je ne la fasse pas, mais je ne peux pas me permettre de ne pas jouer quelques succès du début des années 2000, «Mon voyage au Canada» et tout ça. C’est un compromis, mais ce n’est pas un si gros compromis non plus, je le fais de bon cœur.

 

D.R.: Après autant d’années de carrière, est-ce qu’on a la crainte de ne pas savoir quand s’arrêter?

Mononc: Je ne pense pas à ça pour être franc. En fait, je n’aurais jamais cru quand j’avais 18 ans qu’en 2019 je sortirais des albums Punk-Rock. Tant que les gens veulent m’entendre, j’aurai envie de continuer, mais ce n’est pas du tout une question existentielle pour moi.

 

D.R.: Tu as fait ta réputation avec tes textes crûs, parfois vulgaires, du moins, toujours directs. As-tu l’impression aujourd’hui que quelques-uns de tes textes passent un peu moins bien avec la nouvelle rectitude politique? As-tu encore l’impression que tu peux tout dire et aborder n’importe quel sujet?

Mononc: Il me semble évident que non. L’époque a changé, mais ma propre sensibilité aussi. Certains de mes textes sont sexistes, c’est nos yeux de 2019 qui les perçoivent maintenant comme ça. J’aimais beaucoup faire de la musique qu’on qualifiait de vulgaire. Je me rendais dans les Trucks-Stop pour acheter ces fameuses cassettes «50 chansons cochonnes», pour m’en inspirer, tu vois? Mais aujourd’hui la vulgarité est tellement répandue dans plusieurs formes d’art, et même en humour grand public par exemple, que ce n’est plus aussi intéressant de transgresser les limites de la décence. En 1998, j’étais le petit bum, aujourd’hui c’est devenu banal.

 

D.R. Malgré ton franc succès les médias de masse ne t’ont pas fait beaucoup de place, outre à quelques occasions bien précises, on pense entre autres à ta présence à Tout le Monde en Parle par exemple. Est-ce tu as senti que ces occasions ont réellement joué un rôle important dans ton cheminement? Est-ce que la visibilité de Tout le Monde en Parle change vraiment une vie comme on peut se l’imaginer de l’extérieur, pour un artiste issu de la scène alternative?

Mononc: Oui, je le crois. Ma présence à TLMEP a beaucoup pesé dans le succès de mes concerts qui ont suivi les mois suivants, mais c’était la seule fois où vraiment j’ai eu accès à la culture de masse. Radio-Canada va me faire une petite place lorsque je sors un disque, mais sinon effectivement ma présence dans les médias a toujours été très limitée. Je ne vise pas le grand succès de toute façon. Ce que je vis en ce moment est bien au-delà de mes rêves. Je vis de ma musique, c’est énorme! Je suis très heureux du succès que j’ai eu et que je continue d’avoir. Le public marginal est un public fidèle qui vient voir plusieurs concerts, qui achètent de la marchandise, je n’ai aucune aspiration qui vise plus que ça. Ça me convient tout à fait.

 

D.R. Chaque génération a ses propres transformations technologiques et sociologiques; le vinyle, la cassette, le CD, les mp3. Quelle est selon toi la plus grosse transformation qu’a subie le monde de la musique depuis que tu y travailles? Est-ce que c’était réellement mieux avant?

Mononc: Non, ce n’était pas mieux avant. C’est un mythe. Il y avait effectivement plus d’argent à faire dans le milieu, mais ce n’était certainement pas les musiciens qui en profitaient. Il y avait plein de gens qui prenaient leur pourcentage, il y avait de grosses structures à faire rouler. Aujourd’hui, nous pouvons rejoindre le public comme jamais. En 1995, c’était impensable pour moi de pouvoir faire mes propres montages vidéos ou d’enregistrer un démo chez moi. Maintenant, avec 500 $ je peux faire mon démo et avec mon téléphone je peux filmer toutes les images dont j’ai besoin.

 

D.R. En terminant, que souhaites-tu pour les musiciens de la prochaine génération et quel conseil aurais-tu à leur partager?

Mononc: De lâcher tout de suite, ça va me faire moins de concurrence!!!