Epitaphs, ce sont six pistes, 55 minutes de noirceur, de lugubre, de hantise, d’errance spirite, de psychanalyse où l’on n’aime pas toujours ce que l’on y retrouve. Epitaphs, c’est le point culminant de cette formation doom originaire de Pologne. Trois ans après sa formation, le quatuor nous offrait Anaesthetic Inhalation Ritual (2011), un disque sombre, hermétique et insondable. Le second album, Void Mother (2013), monte d’un solide cran en efficacité et en charge émotionnelle. Mais la montée dramatique et la perdition infernale se s’arrêtent pas là.

Obscure Sphinx gagne en obscurité d’un album à l’autre, profitant de la lourdeur et de l’apathie du doom et du sludge pour nous faire visiter les méandres et les raccourcis labyrinthiques de l’esprit. Non, cette musique n’est pas la plus technique, mais elle n’en demeure pas moins complexe par sa structure et son audace. Comme en témoigne la pièce en première ligne «Nothing Left», il s’agit d’un tour de force. Comment allier le doom pachydermal, monolithique et wagnérien de ce morceau discordant et lourd comme le plomb en y insérant de-ci, de-là des mesures de guitares acoustiques et des passages de chants féminins presque incantatoires tout en conservant sa cohérence et sa continuité? Je n’en sais foutre rien… mais ça fonctionne! Et puis non seulement la machine réagit-elle au quart de tour, en une mécanique irréprochable, mais cela dure un bon 13 minutes bien tassé. Parsemé de «growls» du plus profond de la trachée et de vocalises claires comme une source, de montées aux cieux comme des descentes brusques et fatales vers les abîmes en alternance, ce morceau déstabilise autant qu’il nous emporte, exprimant son génie par une finale au piano digne du maitre Trent Reznor (et là encore, un petit air de flamenco à la guitare classique vient s’immiscer hypocritement alors qu’on ne l’y attendait pas).

Cet album est une surprise entière. Je vous mets au défi d’anticiper un couplet en entier, un bridge ou même un refrain! Vous vous casserez chaque fois la gueule, parce que les musiciens d’Obscure Sphinx n’aiment visiblement pas les patterns et les récurrences annoncées (il y a certes des récurrences palpables dans cette musique, mais elles sont toujours contrecarrées par un petit à côté qui brise une monotonie possible).

Au second morceau, et j’ai nommé «Memories Of Falling Down», on a cette impression de faire face à un post-metal répétitif qui traînera son mantra équarri sur 11 longues minutes. Ah, surprise les amis, ce n’est pas possible avec Obscure Sphinx et vous le saurez assez vite! Le tout commence certes doucement, avec ces guitares éthérées et cette batterie cadencée au rythme soutenu et copié-collé. Mais vous savez que ça n’en restera pas là… Et la sixième minute du morceau survient, comme un coup dans la gueule causée par une batte de baseball autour de laquelle on a enroulé du fil barbelé (ça rappelle Lucille, l’arme de Negan dans The Walking Dead, je sais, et la comparaison est faite à dessein, car les cris de la chanteuse Wielebna me donnent par moment l’impression qu’elle se bat pour survivre à une agression sanglante; je me plais alors à imaginer Michonne hurler de satisfaction pendant qu’elle fout une branlée royale à ce «thug» vedette de la saison VII de cette série culte).

obscures-phinxEt d’une lourdeur minérale jusqu’à la minute 9, le morceau passe encore par la transition insoupçonnée et harmonieuse de son dernier segment avec une gloire et une envolée magistrale. Ô ciel, ça donne le goût de prendre la première fusée vers les confins de la galaxie, d’ouvrir le sas de la navette à mi-chemin et de se jeter dans le vide depuis le cimetière des étoiles pour y retrouver avec sérénité la Terre que nous venions de quitter. C’est d’une beauté noire à en faire pâlir Baudelaire, Rimbaud, Oscar Wilde, Lautréamont ou tout autre poète maudit.

Passé ce cap, si vous êtes encore en train de vous enliser dans le goudron dense et épais de cet album en ayant encore toute votre tête, vous sombrez dans une crevasse qui conduit illico et sans détour aux enfers ou au cœur magmatique de la Terre (dépendamment de vos croyances). Et, perso, c’est cette portion de l’album dans laquelle je suis le plus confortable. Amour pour le morbide, l’ésotérique, le mystique, peut-être. Mais «Nieprawota» est mon morceau préféré. Bon, d’accord, je suis littéralement en amour avec «Memorare» également (surtout au passage médian où l’on entend des coups de rim et une guitare qui rappelle la trame sonore du film Twin Peaks: Fire Walk With Me). Bordel que c’est géant! D’ailleurs, note au passage: il me semble que cette dernière piste pourrait facilement faire partie d’une soundtrack pour accompagner du Lynch, vous ne trouvez pas?

Puis, après tout ça, s’il reste encore un peu de viande dans votre boîte crânienne et que celle-ci est encore en état de transmettre de l’information à vos sens jusqu’ici éprouvés, deux autres excellents morceaux vous attendent. Et avec la pièce «Sepulchre», on voyage en plein hymne au Sublime pendant un bref deux minutes, une hymne au grand, à l’inatteignable, comme seule savent le faire Björk et Wielebna. Et le seul pavé dans la gueule qui s’ensuit avec le rush de sérotonine qui vient avec.

À ce stade, bien qu’en pleine ivresse et presque catatonique, j’écoute l’ultime morceau qui doit conclure ce monument. Pas convaincu cette fois… car il me semble qu’«At The Mouth Of A Sounding Sea» est de trop. Ce titre-là m’achève, trop insistant sur mon système nerveux. Après tout, la pièce dure 10 minutes. Ça en fait des décibels pour deux seuls tympans. Et puis j’avais déjà pris mon pied au court des cinq autres chansons, pourquoi en rajouter? Bon, ça, c’est probablement propre à chacun, à son niveau personnel de tolérance. De toute façon, n’effraiera pas les fans de Cult Of Luna, Oathbreaker, Neurosis, Terra Tenebrosa, Year Of No Light ou Defying, n’est-ce pas? Et comme c’est principalement cet auditoire qu’Obscure Sphinx vise, pourquoi faire un compromis, hein?

Texte: Dann ‘the djentle giant’

Photo : http://zobaczycmuzyke.blogspot.com/

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Chronique parue simultanément chez Clair & Obscur (Paris) et Daily Rock (Québec)