Groupe: Anubis

Album: Hitchhiking To Byzantium

Label : Bird’s Robe Records

Sortie: 2014

 

Trêve de musique déjantée, de metal extrême et de musiques expérimentales. Je sors ici de ma zone de confort. Cette fois-ci, j’aimerais traiter de rock progressif, tout simplement. Certains de mes collègues et amis ont l’impression que le progressif a épuisé ses ressources, qu’il s’essouffle, voire qu’il tourne en rond. En effet, on peut dire que beaucoup de groupes actuels pastichent les grands noms de l’âge d’or du prog. Il y a peu d’esprits créatifs qui cherchent à faire du neuf, à sortir du territoire conquis par les vétérans du genre. On peut également affirmer que nombre de formations étirent la sauce et profitent de ce «prog revival» pour se fondre au marché, usant de redites et de clichés pour titiller notre nostalgie. À certains égards, tout cela n’est pas si fou, ni si faux. Mais à toute règle comme à toute constatation, il y des exceptions (cela demeure toutefois très subjectif, je l’admets).

En début d’année, bon nombre d’entre nous, fans de progressif, sommes tombés sur le premier album de Dave Kerzner. Le public a été unanime: c’était du grand matériel. On y sentait bien le ton Pink Floyd et le vieux progressif des années 1960-1970, mais on ne pouvait ignorer la qualité de ce disque, la profondeur et l’émotion qui s’y tramaient. Puis, quelques productions dignes d’intérêt ont également fait leur apparition ces derniers temps. De celles-ci, la plupart renvoient à une forme de rock progressif plutôt classique, mais ô combien délicieuse pour les papilles auditives: Guilt Machine (On This Perfect Day, 2009), Galahad (Battle Scars, 2012), The Custodian (Necessary Wasted Time, 2013), Haken (The Mountain, 2013), Minor Giant (On The Road, 2014), Kingcrow (Eidos, 2015), Riverside (Love, Fear And The Time Machine, 2015), Anekdoten (Until All the Ghost Are Gone, 2015), Kaukasus (I, 2015), Not A Good Sign (From A Distance, 2015) et Built For The Future (Chasing Light, 2015). Or, s’il n’y a rien de neuf sous le soleil, nul ne peut nier la qualité de leur composition et le travail très efficace au niveau du mixage et du mastering.

Anubis, comme tous les noms mentionnés plus haut, ne fait pas dans la musique révolutionnaire. Et puis après? Si c’est bon, sommes-nous obligés de chercher le petit hic, sommes-nous dans le devoir de reprocher aux artistes de ne pas faire exclusivement dans le spectaculaire et l’inédit? Sommes-nous obligés de nous comporter en Peggy Guggenheim et de chercher à tout prix le nouvel artiste, la nouvelle œuvre d’art, même si celle-ci n’est qu’une boîte de conserve scellée contentant de la merde d’artiste ou une puérile installation qui digère les aliments (je fais ici référence au fameux «Cloaca» de Delvoye)? Pour ceux qui veulent se complaire dans la critique et passer à côté des bonnes choses, grand bien leur fasse; chacun sa vision, chacun ses attentes. «De gustibus non est disputandum», dit l’adage. Pour ma part, lorsque j’aime quelque chose, peu m’importe que ce soit innovateur, grandiose ou inusité. Si ce l’est, tant mieux. C’est une plus-value, un bonus. Mais ce n’est pas une condition «sine qua non». Une musique qui plait est une musique qui nous rejoint ou qui nous procure des sensations profondes, voilà! Après tout, il y en a qui font de la musique totalement nouvelle et qui ne laisse pourtant aucune trace sur l’âme. Je préfère donc les groupes pour lesquels on ne peut qu’éprouver certains frissons, une certaine ivresse. Le dernier album du groupe australien Anubis m’a fait cette impression, tout comme le New World de Kerzner. C’est tout dire!

Hitchhiking To Byzantium est le troisième opus du quintet originaire de Sydney. On croirait que le groupe possède une longue expérience de composition tant cet album est accompli. Or, Anubis n’existe que depuis 2004! Si les membres de Pink Floyd étaient tous déclarés morts dans un accident où on n’aurait pas retrouvé les corps, j’oserais envisager une théorie du complot impliquant la mort déguisée des musiciens anglais désirant de ce fait changer de peau pour entreprendre une autre carrière sous le nom d’Anubis. Mais bon, on ne peut oser formuler pareille ineptie puisque tous les membres du groupe sont encore en vie, hormis Syd Barrett.

La seconde minute de la chanson A King With No Crown fait inexorablement penser au groupe britannique, ne serait-ce que par l’effet sur la voix plutôt «wateresque» de Robert James Moulding ou le solo de clavier inspiré du classique A Saucerful Of Secret. La filiation entre les deux groupes est indéniable! Les chansons A Room With A View et Crimson Stained Romance, dans un registre parent de l’album épique The Final Cut laissent également entrevoir cette inspiration manifeste (surtout lors du solo à la Gilmour qui peut être entendu aux minutes 2 et 4 de Crimson). Et que dire de Hitchhiking To Byzantium, ce savoureux clone de l’époque Wish You Were Here

Or, si Anubis renvoie au progressif de Gilmour, Barrett et Waters, ses notes tantôt rock indie confèrent à la formation quelque chose de plus personnel. Des morceaux tels que Blood Is Thicker Than Common Sense et Partitionnists (qui me font penser à du Eidola, un groupe que j’ai couvert un peu plus tôt en août 2015) sont plus griffés, plus enclins à définir une formation musicale distincte du passé. Dans ces titres, on peut percevoir l’accumulation de guitares dans une formule plutôt post-rock (guitares clean tantôt très staccato, tantôt très fluides et éthérées), accompagné d’une batterie très rythmée qui ne laisse aucune place au vide; du bon rock indie bien typé, quoi! Cette saveur n’est toutefois pas nouvelle, encore une fois. Combien de groupes australiens ou anglais possèdent cette formule? Des tas, assurément. Mais là n’est pas la question. Anubis fait dans un rock progressif qui emporte, fait rêver, donne l’impression de vertige. La voix de Moulding est d’un rare sublime, les guitares de Douglas Skene et Dean Bennison sont tout bonnement parfaites et sans reproche, les claviers de David Eaton sont enivrants et la batterie de Steven Eaton accompagne en maître d’œuvre cet ensemble diablement bien rodé.

Des albums de rock progressifs parus en 2014-2015, Hitchhiking To Byzantium est possiblement l’un des plus méritants. La qualité de la production et l’efficacité des compositions (pas un morceau qui ne soit médiocre ou de moindre envergure), font en sorte qu’il serait ingrat de ne pas souligner son existence. Il m’a fallu presque un an avant d’écrire ce papier, car les mots me manquaient. Il me semble plus facile de critiquer un album de calibre moyen que de chroniquer une réussite. Comme quoi les qualificatifs mélioratifs sont plus rares dans le langage. Disons simplement qu’Anubis est un coup de cœur et que je suis littéralement sous le charme de cet excellent album dont j’ai dû faire l’écoute en boucle durant plusieurs jours d’affilée.

Suite à ce plaidoyer en faveur d’une musique qui fait dans l’excellence sans faire dans le «born from scratch», j’espère convaincre les mélomanes, puristes, sceptiques et nostalgiques parmi nous. Il serait quelque peu triste de passer à côté de bonnes choses pour de simples principes, ne croyez-vous pas? Allez, je vous laisse sur ce clin d’œil sympathique et pas du tout méchant. La musique, c’est un monde fantastique. L’explorer, c’est aussi s’émerveiller devant un paysage vu mille fois. N’est-il pas?

 

Dany Larrivée

24 novembre 2015

 

Note: également disponibles, les albums 230503 (2009), Tower Of Silence (2013)

de même que les disques Live At Schloss Heidelberg et Behind Our Eyes

 

Chroniques parues simultanément chez Clair & Obscur (France) et Daily Rock (Québec).