Avec la sortie de Matière Noire, leur huitième album, Mass Hysteria repousse encore les limites de leur style marqué reconnaissable entre 1000. 22 ans de hard au compteur et les vieux briscards prouvent aux jeunes qu’ils en ont encore sous la pédale. Rencontre avec Yann, guitariste-fondateur, entre le Download Festival et le Hellfest, en prémices d’une nouvelle tournée québécoise attendue pour l’automne.

Par Marien Joly

MJ : Yann, vous rentrez à peine de la première édition parisienne du Download, comment c’était ?

Yann : C’était juste énorme. On appréhendait un peu parce qu’on jouait tôt, à 15h, et qu’on est habitués à jouer vraiment plus tard. Mais on sait comment c’est dans les gros festivals, avec les managements américains qui veulent que leurs groupes jouent à certaines heures, en tant que groupe français on se retrouve à jouer beaucoup plus tôt. Ce n’est pas très grave, on a fait le taf et c’était vraiment bien. On avait beaucoup de monde et c’était vraiment le feu.

MJ : Comment le public a-t-il accueilli les nouvelles tounes par rapport aux grands classiques comme Furia ou encore P4 ? Est-ce que le public se les est déjà appropriées ?

Yann : Figure-toi qu’on est même en train d’en rajouter du nouvel album ! Il est tellement bien accepté – c’est la première fois que ça nous fait cet effet-là en 25 ans. On a l’impression que quand on joue Contraddiction aujourd’hui, on a des gens qui ne connaissent pas autant que les morceaux plus récents. C’est un peu nouveau pour nous. Mais c’est cool et le nouvel album est vraiment bien apprécié.

MJ : Tu penses que c’est dû au fait que le public s’est rajeuni ou qu’il s’est un peu lassé ?

Yann : Ah peut-être… Je ne sais pas ! Peut-être que ça tourne un peu quand même. Contraddiction a beau être un classique, ça fait quand même 20 ans qu’il est sorti, ou presque. Vu que le nouvel album a été super bien accueilli en France – ça ne veut pas dire qu’on ne joue plus les anciennes, attention ! – effectivement on en joue beaucoup de nouvelles.

MJ : L’intégration de Fred (Duquesne, producteur des derniers albums et nouveau guitariste) sur scène, dans l’énergie du live, comment ça se passe ?

Yann : C’est juste le top. Ça se construit aussi avec les années ce truc-là, et quand un membre part c’est toujours embêtant, mais aujourd’hui je trouve qu’on a la meilleure formation qu’on ait jamais eue. Fred est vraiment super bon, ça me pousse vers le haut aussi et on a vraiment un jeu en symbiose tous les deux. Le fait qu’il soit aussi le producteur des albums, c’est vraiment mortel.

MJ : Est-ce que sur scène et en répétition il garde sa casquette de producteur ou il se place plus uniquement comme guitariste et membre du groupe, quitte à faire évoluer le style de Mass ?

Yann : Quand il est arrivé dans le groupe on avait fini de composer l’album, il l’a donc enregistré comme les précédents. On verra en phase de composition plus tard comment ça se passe, on a quand même une façon de faire qui est la même depuis des années. Je suis pressé de faire ça avec lui !

Mass Hysteria3MJ : 22 ans de carrière, comment vois-tu l’évolution du groupe au travers des changements de line-up, des changements d’époque pour le rock en France… as-tu du recul là-dessus ?

Yann : On est juste super contents que ça ait perduré et que ce soit toujours aussi fort aujourd’hui. On fait un début de tournée qui n’a jamais été aussi fort depuis Contraddiction. On fait des salles avec 1300 personnes, quand tu fais 40 ou 50 dates par an en France, c’est quelque chose que tu ne fais pas beaucoup à part si tu fais de la variété et que tu vends 100 ou 200 000 albums. On est hyper impressionnés par la fréquentation des salles. Là cet été on fait 20 gros festivals. C’est impressionnant au bout de 20 ans, on a beaucoup de chance que le public nous suive.

MJ : À mi-chemin de votre carrière, il y a eu un détour un peu plus rock avec De Cercle en Cercle puis l’album noir avant de revenir vers un son métal-industriel plus proche des premiers disques. Pourquoi ce détour pour revenir finalement à la musique des débuts ?

Yann : Ce qui s’est passé après Contraddiction, et je ne dénigre absolument pas cette période, on a Olivier, qui est aujourd’hui membre d’Aaron, qui est arrivé. Je lui avais proposé de jouer avec nous et j’avais vraiment envie qu’il rejoigne Mass Hysteria. Il jouait dans un groupe de hardcore hyper dur à l’époque qui s’appelait Trapped In Life. Quand je lui ai proposé de nous rejoindre, il nous a demandé si on serait prêt à faire un truc plus rock. Il a eu beaucoup d’influence sur les compos et je l’ai suivi – encore une fois je ne dénigre pas. À ce moment-là le métal tournait un peu en rond et il y avait des groupes comme Muse ou Deftones qui émergeaient. On écoutait aussi beaucoup Radiohead et finalement on a composé autour de tout ça. Mais on s’est vite aperçu que ce n’était pas ce que les gens attendaient de nous. Des fois tu essayes des choses et pour les gens qui avaient aimé Contraddiction c’était peut-être un peu bizarre. Quand Olivier est parti, j’ai repris les rennes de la composition avec l’envie de refaire exactement ce qu’on savait faire. Les deux albums faits avec Olivier, je les adore, surtout le noir.

MJ : Et aujourd’hui encore, c’est là que vous vous sentez confortables ?

Yann : Grave ! Même si le noir, vraiment je l’adore. Si il avait eu une production à la hauteur, il aurait été vraiment canon. Pour l’anecdote, j’avais demandé à Fred de le produire, mais finalement on était parti avec un Anglais qui nous a foiré notre disque. Ça aurait déjà dû être Fred. J’aurai aimé que la prod’ soit un peu plus « costaud », les gens l’auraient peut-être un peu plus compris.

MJ : Ce que vous faites aujourd’hui reste très marqué. En 15 secondes on comprend que c’est du Mass Hysteria. Comment faites-vous pour persister dans cette voie sans tomber dans l’auto-caricature ?

Yann : Je crois qu’on se prend pas mal la tête ! On est très chiants avec nous-mêmes. En général j’ai 600 ou 700 rifts dans mon téléphone, on trie, on répète, on fait tourner jusqu’à arriver avec 12 morceaux qui tiennent vraiment la route. On essaye de faire en sorte que ce soit le meilleur possible pour éviter de tomber dans un truc un peu cliché. C’est aussi ça qui nous a fait dévier après Contraddiction. On n’avait pas envie de refaire la même chose. Mais aujourd’hui quand tu écoutes bien, les albums ne se ressemblent pas vraiment. À chaque fois on pousse pour que les rifts sonnent, que ça se retienne. J’espère qu’on y arrive et que ça continuera.

MJ : Au niveau de la production, il y a aussi une progression évidente. Beaucoup de groupes de rock français ont eu un pique début 2000 avec des productions à l’américaine qui envoyaient avant de finalement retomber vers quelque chose de plus cheap. Est-ce que c’est un manque d’envie, un manque de moyens ?

Yann : Il y a un peu de ça… Moins d’argent pour faire les disques. Certains sont doués, le font eux-mêmes et ça sonne, nous on a la chance d’avoir Fred et un label qui nous permet de travailler avec lui, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Il y a moins de moyens qu’avant quand on vendait beaucoup de disques, ça ternit un peu le truc. Nous on a une grosse culture américaine, c’est important que les prods soient grosses. On y met un point d’honneur.

MJ : Cet automne vous venez au Québec et passez des gros festivals à des salles plus intimes. Est-ce que le plaisir est le même ?

Yann : On adore jouer au Québec ! Et la proximité avec le public est importante. Au Download on a fait 28000 personnes, mais si tu nous mets 150 personnes, pour nous l’énergie sera la même. Ça nous est arrivé à Jonquière de jouer pour trois personnes, dont deux payantes. Trois Français en plus !

MJ : Dès les débuts de Mass vous avez été présents au Québec. Qu’est ce qui vous a menés ici aussi rapidement ?

Yann : En fait, avec le premier album on a joué aux Francofolies (de la Rochelle, NDLR) et tout de suite on a rencontré Grimskunk. Franz a voulu nous signer chez Indica directement après nous avoir vus sur scène et ça a été vraiment rapide. Et là, 20 ans après, ça va être notre 17ème venue, je crois. On adore vraiment jouer chez vous, et avec Grimskunk on se voit tout le temps.

MJ : Plus de 20 ans de carrière et des poils gris dans la barbe, ça commence à sentir le sapin… Est-ce qu’en France aujourd’hui il y a une relève prête à reprendre le flambeau avec la même énergie que Mass ?

Yann : Il y a énormément de groupes, mais je t’avoue que je n’ai pas pris de claque dernièrement… À Part Hangman’s Chair, mais c’est des gars de notre âge. C’est un groupe qui existe depuis un petit moment. Parmi les jeunes, je n’ai rien qui me vient à l’esprit.

Mass Hysteria2MJ : Pourtant il y a 10 ou 15 ans avec la Team Nowhere, Pleymo ou Watcha avec Fred, il y avait une vraie synergie, des groupes avec un vrai niveau sur scène, est-ce que l’émulation de l’époque est fanée ? La fin d’une génération ?

Yann : Non, il doit y en avoir, on a The Arrs par exemple, ou Dagoba. Mais c’est vrai qu’ils ne sont pas tout jeune. Peut-être que je ne me tiens pas au courant, mais on tourne quand même beaucoup et pour l’instant, je n’ai pas pris de claque en me disant « ça c’est nouveau, ça tue. » Pas pour l’instant, à part avec Hangman’s Chair, mais ils ont déjà quatre albums et peut-être cinq ans de moins que nous… Même Gojira, c’est déjà des anciens.

MJ : Finalement, cette scène là a fait aussi un virage plus rock à peu près au même moment que Mass, avec des formats plus « chanson ». On a vu Pleymo invité chez Drucker par Obispo, Watcha sur MTV… Est-ce que ce n’est pas ce virage-là qui a tué l’énergie de cette période, en opposition à vous qui êtes revenus vers votre identité primaire ?

Yann : Je suis complètement d’accord avec toi. À un moment donné tout le monde a couru après le single qui ferait vendre des disques, et c’est sincèrement ça. Avec notre album noir, on a jamais eu autant de radios et d’exposition et c’est à ce moment-là pourtant que notre public n’a pas suivi. Quand Watcha et Pleymo ont arrêté, on a refait un album et le public nous a redonné une chance. En revenant à quelque chose de plus roots et plus « vénère », les gens nous ont retrouvés. On s’aperçoit que plus on va vers un truc métal vénère et plus les gens nous suivent ! Sans être dans le métal extrême, je pense que c’est ce que les gens attendent de nous.

MJ : 20 ans après, au milieu de tout ce truc vénère, « le bien-être et la paix », vous en êtes où ?

Yann : on prône toujours ce même message, le message de Mouss (chanteur, NDLR) : rester positif malgré tout, malgré ce qui se passe surtout aujourd’hui, essayer de relever la tête, de se bouger les fesses à son niveau, oublier toute cette merde politique même si on est conscient que c’est là et qu’il faut en faire quelque chose. Mais si tu ne fais rien à côté, si tu ne sors pas avec tes potes, pas au cinéma, pas te cultiver un peu et que tu restes devant ta télévision à regarder tout ce qui se passe, tu plonges. On reste toujours dans cet esprit positif à fond.

MJ : Au lendemain des attentats du 13 novembre 2015 en France, vous étiez sur scène à Toulouse. Est-ce que c’est facile à ce moment-là de passer ce message et de rester positif ?

Yann : Rester positif pour nous, ça a été d’arriver au Bikini (la salle toulousaine NDLR) le matin, avec le patron qui nous attendait pour nous dire « les gars, si vous voulez jouer je vous suis et on le fait, sinon on ne le fait pas. » On s’est posé la question, on a beaucoup hésité, mais on s’est dit que les gens auraient besoin qu’on le fasse et on l’a fait. C’était un moment particulier et assez fort. Je crois qu’on a eu raison de jouer et je remercie Hervé du Bikini de nous avoir laissé faire. Ça a été un moment fort et notre façon à nous de rester positif.