L’art de voir grand

Mon tour de la Gaspésie ne pouvait mieux se terminer, alors que les légendes californiennes de Reel Big Fish allaient faire partie de la deuxième édition du Bivouak’alooza dans le magnifique village de St-Jean-Port-Joli. Les organisateurs ont risqué gros, le groupe ska le plus important de la planète allait jouer sur le bord de la 132.

De midi à minuit, le festival présentait une liste d’artistes plutôt impressionnante. La journée débute avec Jo Robichaud, chansonnier de la région, qui m’a d’ailleurs particulièrement plus avec son style garroché et son utilisation du joual. L’auteur-compositeur possède une belle plume, et les formules poétiques et naïves de ses textes restent longuement ancrées dans la mémoire. Sa reprise de «Je chie des arcs-en-ciel» des Québec Redneck fut interprétée avec beaucoup cachet, et sa composition sur son village SJPJ fut très touchante.

La nouvelle coqueluche Émile Bilodeau allait suivre devant un public qui tardait à arriver. Performance tout à fait sublime et divertissante, les textes sont brillants et merveilleusement fignolés. Sa présence scénique est tout à fait exceptionnelle pour un kid de même pas 20 ans. Longue vie à Émile Bilodeau qui saura assurément prendre un peu d’expérience avec les années afin de devenir l’un des artistes les plus importants de sa génération. C’est déjà fait.

Ce qui allait suivre par contre m’a semblé être une erreur, voire une absurdité. La journée était bien commencée, une centaine de personnes se trouvaient déjà sur place. Une centaine de personnes visiblement intéressée par la musique rock dans son sens large. Le DJ qui allait suivre avec une musique latino, reggaeton ou je ne sais trop est venu briser l’atmosphère si fragile du festival. Les gens se sont éparpillés, ils se sont endormis au soleil, ils sont allés manger… ils étaient ailleurs. Partis.

Heureusement, les Hôtesses d’Hilaire sont débarqués avec leur méga autobus de tournée pour remettre les pendules à l’heure. Une autre performance remarquable du groupe acadien qui depuis quelques années réussit après chaque concert à multiplier leur nombre de fans. La bande de Serge Bribeau est très captivante et possède de plus en plus d’assurance, la pièce «Regarde-moé» n’a pas pris une ride depuis sa sortie et exprime d’une façon tout à fait juste les questionnements identitaires de la nouvelle génération.

Encore une fois, l’ordre de passage des groupes m’a semblé un peu tordu alors que Irish Moutarde allait suivre. Le groupe produit un son tout à fait semblable à Flogging Molly, une musique irlandaise chantée la plupart du temps en anglais avec un accent gros comme le bras qui dérange plus qu’autre chose. Le style irlandais est à l’opposé de mes goûts musicaux, mais outre mes goûts personnels, la performance fut presque un désastre. Plusieurs problèmes techniques sont venus ternir la performance et déstabiliser les musiciens qui ont passé beaucoup, beaucoup, beaucoup trop de temps à fausser et à essayer d’arranger un son mal équilibré. Performance à oublier.
Un autre retour aux sources avec Les Dales Hawerchuck allait redonner au festival son cachet rock. Le groupe originaire du Saguenay a livré une leçon de rock comme il s’en fait de moins en moins au Québec. Lourd et agressif à souhait. Pour certains, ce fut le meilleur concert du festival.

Mais Koriass n’allait pas jeter la serviette. Le rapper, accompagné d’un batteur et d’un bassiste-claviériste, en a surpris plus d’un avec une performance très rock lui aussi. Le son parfaitement équilibré cette fois permit au gars de St-Eustache de faire percer ses brillants textes entre les étoiles. Ma première réaction à savoir qu’un rapper allait préparer la scène pour Mononc’Serge et Reel Big Fish me semblait aussi être une absurdité, mais je remâche mes mots cette fois, tout au contraire, ce fut un choix très judicieux qui propulsa le festival ailleurs.

Le troubadour Serge Robert était également de la partie pour donner l’avant-dernier concert de sa tournée du dernier album sorti en 2015. Des chansons d’actualités qui en sont toujours et des classiques entendus mille fois dont on ne se tanne jamais. Les derniers concerts de Mononc’Serge auxquels j’ai pu assister m’avaient un tant soit peu déçu, mais la performance au Bivouakalooza n’a déçu personne. Tout au contraire, les quelques centaines de personnes présentes ont festoyé lourdement en attendant l’arrivée de Reel Big Fish.

Jo Robichaud, l’auteur-compositeur qui avait débuté la journée, avait aussi le mandat de monter sur scène durant les entractes pour divertir la foule. Tout au courant de la journée, à chaque heure, Jo Robichaud interprétait 2 ou 3 chansons avant d’inviter le prochain groupe à monter sur scène. Jusque-là, l’idée semble intéressante. Par contre, le chansonnier qui à midi buvait de la bière s’est retrouvé à avoir de la misère à prononcer un mot vers minuit. Nous avons pu assister à sa brosse de douze heures en direct et ce ne fût pas que du beau. Malheureusement, l’idée géniale s’est transformée en catastrophe et en manque flagrant de professionnalisme. Sa performance de Belzebuth des Colocs, en solo, en oubliant des phrases et en faussant pendant que Reel Big Fish s’installait démontrait un manque de préparation. Ses commentaires vulgaires et ses blagues plates ont intensément nui à l’instauration d’une fin de soirée en bonne et due forme. Même Reel Big Fish qui en était à brancher leur micro, on eut l’air de se demander qui était cet étrange personnage saoul qui gueulait dans le micro. Plus la journée avançait plus les entractes étaient pénibles et mal préparés. Définitivement à corriger pour l’an prochain; il faut donner de la 0.5 % au présentateur.

Reel Big Fish. On y croyait à peine. Pas un groupe hommage, mais le vrai. A-t-on vu trop grand? À regarder le public, oui nous avons vu trop grand. À peine 500 personnes s’y trouvaient, dont plusieurs bénévoles, malheureusement, Reel Big Fish nous l’a fait ressentir. Ils nous ont fait ressentir comme si nous n’étions pas assez nombreux pour les mériter. Ils ont donné une performance correcte, sans plus. Ils sont venus puncher et sont repartis aussitôt. Rien d’exceptionnel. Rien de mémorable. Qu’une grosse dépense qui n’en valait peut-être pas la peine. De l’argent chèrement gagné au Québec qu’on envoie de l’autre côté de la frontière dans les poches d’un groupe qui a fait son travail les yeux fermés et les doigts dans le nez. Ce fut une belle tentative, qui n’essaie rien n’a rien, mais effectivement on a vu trop grand.

Le froid avait envahi le terrain. Les campeurs devaient commencer à stresser, je n’ai même pas osé passer la nuit dans mon camion de peur de revenir avec une bronchite. Peut-être que les dates du festival à la fin août pourraient être repensées, ou peut-être qu’un feu de joie aurait aidé à réchauffer les cœurs pour continuer la fête. Orloge Simard devait se produire à l’intérieur pour clore le festival, groupe que j’aurais adoré voir, mais le froid a eu raison de moi. Je n’aurai pas survécu à cette deuxième édition du festival, mais souhaite de tout cœur voir l’organisation se remettre en chantier pour la prochaine édition.

Texte: David Atman

Photo d’archive: Helene Dickey