Les productions Bonzaï ont présenté avec grand fracas le monument Aut’chose vendredi dernier le 19 mai.

Monsieur Francoeur foulait les toutes petites planches de l’Esco revampé pour une performance poético-musicale accompagné de son dreamteam. Les meilleurs musiciens punk et métal en ville allaient accompagner les poèmes sales et gras du vieux chef indien en revisitant, et surtout en accélérant la cadence des mythes anciens.

Pour avoir pu lui parler à quelques occasions, son premier réflexe est de nous dire «appelle-moi Lucien», mais j’en suis incapable. C’est au-delà de mes capacités de trahir ainsi mes propres codes de bienséance.  Parce que c’est un monsieur, un vrai gentleman. Peu de gens possèdent l’aura de ce qualificatif; Monsieur. Un symbole, admettons-le, un peu futile, mais néanmoins un symbole qui exprime un respect profond et sincère.  J’utilise Monsieur pour exprimer ma reconnaissance du travail de défricheur. Ce sera toujours Monsieur Duguay, Monsieur Charlebois, Monsieur Latraverse, Monsieur Pelloquin, Monsieur Vaillancourt, et toujours Monsieur Francoeur, même lorsqu’il insiste. «Appelle-moi Lucien». NO WAY!!!

Pour avoir retourné la terre et fait sauter les barrières. Intégrant l’art à une forme musicale qu’à l’époque on qualifiait de punk. Le verbe. La parole. Pas toujours déclamé sur la bonne note, mais, à la limite, la musicalité est secondaire. Ce qui intéresse c’est la route, le passage formateur, le travail créatif. On ne s’intéresse pas à Warhol à cause de notre amour de la soupe.

Pas loin des Ramones et des Pistols, mais peut-être au fond beaucoup plus près de la sensibilité d’une Patti Smith. C’est New York, Londres et le Los Angeles des Doors, de Love et de Jerry Garcia live dans tes bacs à Montréal. Un pas de géant dans l’histoire du Québec, une mise à jour du milieu artistique. On efface et on recommence. La tour de Babel. Le feu de Prométhée. Si Dieu est mort au Québec après le Refus Global, les brebis égarées ont bien dû s’expurger ailleurs. Le brouhaha Francoeur est la continuité des premiers balbutiements d’un Québec moderne, un chaos bien réfléchi afin de mieux pouvoir reconstruire une parole vivante.

La salle comble vit un moment de grâce, une illumination rimbaldienne. Lucien Francoeur entrouvre les portes de la perception pour laisser respirer un nouvel univers des possibles.  Dionysos au pied de la montagne, cette magistrale montagne qui définit notre identité. Le lieu préconvenu de toutes les festivités. Terrain sombre d’actes immoraux et de luttes pour sa possession.  Monsieur Francoeur habite l’espace de sa langue bafouée, franglais bien avant l’heure, parfois vulgaire, mais toujours sexy. On utilise la langue pour briser les frontières du réel et découvrir ce qui se trame de l’autre côté.  Break on through to the other side comme disait l’autre sorcier indien drapé de peau de lézard.

Celui qui se présente comme un freak n’en ait pas un. La ligne entre la folie et le génie d’Artaud est invisible. La ligne entre Nelligan le révolutionnaire et l’interné est imperceptible. Le sens des mots de Gauvreau restera à jamais ambigu. Francoeur c’est la tangente punk des auteurs Beat, l’aspect hippie des automatistes. Francoeur a changé la face de la musique au Québec, et tout aussi important, le cœur de milliers de cégépiens comme professeur de français. Parce qu’il n’y a pas mieux qu’un punk pour enseigner Kerouac. Ce punk est toujours debout et marche d’un pas pesant. Cet homme, à l’époque, sur qui on crachait pour  mieux célébrer sa musique, se mérite plus que jamais aujourd’hui le qualificatif de Monsieur.